Notes de lecture. Joseph Roth, L’Autodafé de l’esprit
Mise en ligne de La rédaction, le 22 mai 2021.
Joseph Roth, L’Autodafé de l’esprit , Paris, Éditions Allia, 2019.
par André Désilets
[EXTRAITS DU NUMÉRO 62/PRINTEMPS-ÉTÉ 2021]
Voici un opuscule bouleversant que Joseph Roth a écrit directement en français et publié la première fois en 1933, à l’époque où les œuvres de Walter Benjamin, Sigmund Freud, Heinrich Heine, Franz Kafka, Thomas Mann et Stefan Zweig, pour ne citer que celles-là, furent brûlées au nom de la pureté de « l’esprit allemand », et en réponse à un ordre: effectuer une «action nationale contre l’esprit non allemand», un esprit incarné entre autres par tous les «livres jugés infamants»!
Au fond, le petit livre de Roth demande aux hommes de se rappeler qu’ils sont des hommes et non des dieux qui, à l’instar du fasciste universel au rire sarcastique, condamnent, humilient, torturent, exécutent, brûlent indistinctement des hommes, des femmes et des enfants, comme si détruire était un allégement, une libération des limites qui nous constituent. Qui est à l’abri d’une telle tentation, d’une telle prétention? Très vite, la réponse s’impose: «Pourquoi faire l’ange quand on peut refaire la bête?» demande Philippe Muray. Dès la première page de son texte, Joseph Roth «incrimine une capitulation de l’esprit qui revient aussi à un renoncement à sa langue et à sa culture», c’est-à-dire à son héritage spirituel. À ce chapitre, l’auteur de Juifs en errance insiste sur la trahison des intellectuels qui, par faiblesse, par paresse, par indifférence, ou par inconscience, contribuèrent à ce que les événements de 1933 soient une conséquence naturelle de la logique adoptée par le «Deuxième Reich» de Bismarck, «qui décréta la prédominance de l’autorité physique, matérialiste et militaire sur la vie spirituelle où le type “caporal” fut proclamé et reconnu par le monde comme le type caractéristique de l’Allemand», qu’il s’agisse du juriste, de l’ingénieur, du chimiste, du médecin, du professeur ou du journaliste, ce valet de l’opinion publique qui est toujours prêt, dirait Karl Kraus, à écrire selon n’importe quelle tendance à la mode.
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