Nommer

Mise en ligne de La rédaction, le 22 juillet 2012.

Par Benoît Miller

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 36 / ÉTÉ 2012 ]

Adam nommant les animaux

Le verbe nommer est l’un des plus beaux de notre langue. C’est un verbe fondateur, créateur, civilisateur. Il relève de l’invocation, et appelle l’incarnation. Sa nature hautement métaphysique échappe à la foule et inspire une sorte d’effroi aux décervelés instruits. La complaisance universelle pour le vague, le trouble, l’abstrait, est le signe d’un affaissement intérieur, d’un effondrement ontologique, qui commence par la frénésie et s’achève par la paralysie. L’innommé appartient à la barbarie, au néant, aux ténèbres. Il annonce la ruine et la désolation. Les êtres et les choses n’existent pleinement qu’une fois nommés. Noble et sublime tâche, éminemment humaine. Dieu n’a-t-il pas abandonné à l’homme le soin de donner un nom à ses créatures ? Et le Christ ne nous demande-t-il pas, encore et toujours, de le nommer ? « Mais pour vous, qui suis-je ? » Un nom est une marque d’élection. Il contient la clef de notre identité terrestre et céleste, qui nous sera révélée à la fin des Temps. Le vieux Léon Bloy a écrit une page capitale là-dessus. La parole poétique participe de l’ Œuvre civilisatrice et divine. Contre mon cher Verlaine, j’affirme que l’homme ne désire pas « que la Nuance », mais aussi « la Couleur ». Sans celle-ci, celle-là n’est que le reflet du néant. Dante a montré mieux que personne que la Couleur habite le Paradis, et que l’Enfer n’est qu’une suite de nuances dans le malheur. Puisse ce poème de Benoît Miller, suspendu entre l’amour du verbe et du silence, éveiller aux douceurs et aux rigueurs de l’Exil.

Patrick Dionne

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