L’union de l’Église et l’État : sur une œuvre de Donoso Cortès
Mise en ligne de La rédaction, le 22 juillet 2012.
par Orestes Brownson
[ EXTRAITS DU NUMÉRO 36 / ÉTÉ 2012 ]
(Le titre original de l’article est « Union of Church and State ». D’abord publié dans Catholic World en avril 1867, il fut repris dans le volume XIII des œuvres de Brownson éditées en vingt volumes par son fils Henry, de 1882 à 1907.)
Les importants changements et les diverses péripéties politiques vécus ces derniers vingt ans ont presque effacé de notre mémoire les révolutions et les catastrophes des années 1848 et 1849, sans parler des personnes qui y furent associées. Nous avons l’impression d’en être séparés par plusieurs siècles et nous avons oublié les grandes questions agitant alors l’esprit public, dont semblait dépendre la vie ou la mort des sociétés. En ce temps-là, un libéralisme irréligieux attaquait toutes les formes d’autorité, de foi en la Révélation et de piété envers Dieu, et un socialisme – en réalité un antisocialisme – effréné, et apparemment victorieux, menaçait de détruire la société et de faire replonger le monde civilisé dans cette barbarie dont l’Église, au cours de longs siècles d’un labeur patient et inlassable, l’avait lentement délivrée.
Parmi les nobles et courageux citoyens qui ont combattu du côté de la religion, de la société, de la foi et de la civilisation chrétiennes et qui ont tenté de retenir la marée montante de l’infidélité et de la barbarie, peu se distinguèrent davantage et firent plus pour avertir l’intelligence et le cœur des hommes du péril que le savant, l’ardent, l’éloquent marquis de Valdegamas, Donoso Cortès*.
(…)
* Les événements de 1848 (montée du socialisme, dictature bonapartiste, réaction) ont été analysés à chaud par Tocqueville dans ses Souvenirs et par Donoso Cortès, en particulier dans ses Lettres politiques sur la situation de la France en 1851 et 1852. Le début de cet article de Brownson rejoint ces remarques de Carl Schmitt, publiées en 1949 : « Je parle ici de l’une des très rares personnes [Donoso Cortès] qui, au contact de l’éruption de 1848, ont trouvé la force d’acquérir un nouveau savoir et de donner le signal. Cent ans nous séparent de cette époque. Dans cet intervalle d’un siècle, l’humanité européenne a employé son ardeur à oublier le choc de 1848 et à la refouler de sa conscience » (La visibilité de l’Église et autres textes, Paris, Cerf, 2011, p. 48). Brownson et Schmitt signalent cet oubli de 1848, comme si la possibilité d’un écroulement subit de l’ordre social était difficile à penser, pénible à considérer, urgent à effacer de la mémoire des peuples. Pour Carl Schmitt, si Joseph de Maistre est le penseur de 1789, Donoso Cortès est celui de 1848. Et l’évolution de l’idée traditionnelle de légitimité vers celle de dictature répond au radicalisme révolutionnaire de 1848, « infiniment plus profond et conséquent » qu’en 1789 (La visibilité de l’Église…, p. 198). 1848 a ouvert un abîme qui annonce les révolutions russe et nazie plus que 1789, qui n’est après tout que le triomphe du bourgeois européen : « […] un homme, en l’année 1848, a aperçu la vaste mer de sang dans laquelle tous les courants révolutionnaires allaient encore se jeter pendant un siècle» (La visibilité de l’Église…, p. 247).
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