Notes de lecture. Pierre K. Malouf, Les faces cachées d’Amir Khadir (texte intégral)
Mise en ligne de La rédaction, le 2 novembre 2012.
Pierre K. Malouf, Les faces cachées d’Amir Khadir, Montréal, Accent Grave, 2012
par Richard Décarie
[ EXTRAITS DU NUMÉRO 37 / AUTOMNE 2012 ]
La gauche règne sans partage au Québec. Les trois principaux partis politiques – le Parti libéral du Québec (PLQ), le Parti Québécois (PQ) et la Coalition avenir Québec (CAQ) – récitent le credo du libéralisme philosophique; ce qui les situe politiquement à gauche. Leurs programmes respectifs perpétuent le désastre des cinquante dernières années. Pire encore, parmi les 18 autres partis enregistrés auprès du Directeur général des élections, la majorité appartient à la gauche politique. Il n’est donc pas étonnant que les citoyens attachés à la tradition occidentale, à l’héritage de leurs parents et grands-parents – les trads –, ne se retrouvent plus dans l’offre politique contemporaine. On ne devrait plus parler de « majorité silencieuse », mais de simple « majorité bâillonnée » (silenced) qui augmente le nombre des « cyniques » que décrient vertement de plus en plus d’intellectuels, de politiciens et de journalistes… tous à gauche !
La publication au printemps dernier du livre de Pierre K. Malouf, Les faces cachées d’Amir Khadir, m’a incité à réfléchir sur l’histoire de la gauche au Québec, à travers le parcours politique de son porte-étendard le plus connu, Amir Khadir. L’auteur justifie l’écriture de ce livre par la « profonde méfiance », voire le « dégoût » que lui inspirent l’orientation et l’action politique des kamarades Amir Khadir, Françoise David et de leur parti, Québec solidaire. Il est bon de noter qu’à l’instar de nos petits révolutionnaires estudiantins en culottes courtes, ce parti qui n’a que deux élus bénéficie d’une présence médiatique démesurée. Il a obtenu une place lors du débat des chefs de notre « chère » société d’État radio-canadienne, et même poussé l’audace jusqu’à exiger la participation de la « demi-chef » (non élue à l’époque), Françoise David ! La méfiance de Malouf envers cette « gauche soi-disant vouée à l’établissement d’une société “égalitaire” » est donc, à mon avis, tout à fait justifiée.
L’ultra-gauche
Pierre K. Malouf situe la genèse de l’extrême gauche québécoise dans les années 1960-70, lorsque les « prêtres sécularisés du marxisme succédèrent […] aux abbés défroqués de notre Sainte-Mère l’Église ». Comme tous nos modernes, il ignore la période qui précède 1960. Le Québec, comme les autres nations occidentales – à divers degrés –, n’a pas échappé à la montée du communisme. Le syndicaliste et militant communiste Fred « Rose » Rosenberg a été le premier et seul membre du Parti communiste élu à la Chambre des Communes du Canada (1943-1946), circonscription électorale fédérale de « Cartier » sur le Plateau-Mont-Royal, chevauchant le comté provincial de « Mercier », toujours représenté par Amir Khadir. « Naquirent ensuite, après la Crise d’octobre, explique Malouf, le mouvement En lutte ! et la Ligue communiste (marxiste-léniniste) du Canada [;] les marxistes-léninistes et les trotskistes s’infiltraient dans les syndicats », influençant les institutions étatiques, scolaires et médiatiques, ainsi que les grandes entreprises. Habilement, les partis d’alternance, PLQ ou PQ, et d’alternative, ADQ ou CAQ, justifient leur virage à gauche comme étant un « moindre mal ».
L’Union des forces progressistes (UFP), coalition de groupuscules d’extrême gauche créée en 2002, changea sa dénomination le 13 février 2006, à la suite de sa fusion avec le mouvement Option citoyenne dirigé par Françoise David, pour ce qui allait être le « radeau de la Méduse des naufragés du socialisme québécois » : Québec solidaire. Pour Pierre K. Malouf, « Amir Khadir et Françoise David, c’est de la petite bière ! Moi, ces gens-là me font plutôt rigoler. [Tout particulièrement quand ils souhaitent] que “le Québec s’engage dans la voie d’une redéfinition des rapports entre les êtres humains”, projet démentiel qui dégage un répugnant parfum d’utopisme totalitaire ». Malouf décrit bien l’action insidieuse de l’extrême gauche au sein de notre société, attirant le « centre de gravité » libéral toujours plus à gauche. Cela a été tristement illustré par l’imposition du cours ÉCR. « Amir Khadir n’est pas inoffensif, son action n’est pas insignifiante », précise l’auteur. L’extrême gauche est même tellement bien représentée au sein de Québec solidaire que le Parti communiste du Québec s’est sabordé !
L’appel au boycott d’un honnête marchand
C’est lors de l’appel au boycott de la boutique montréalaise de chaussures Le Marcheur (d’octobre 2010 à mai 2011), notamment par Amir Khadir, son père Jafar Khadir et un avocat siégeant au Comité central du Parti communiste du Canada (PCC-PCQ), William Sloan, que Pierre K. Malouf aurait eu l’idée d’écrire son livre. Cette affaire met en lumière l’incohérence intelle tuelle de Khadir. Cet apôtre de la liberté d’opinion avait « accusé » M. Yves Archambault, propriétaire de la boutique Le Marcheur, d’être « un habitué de la caisse électorale du Parti libéral et de l’ADQ* », et incité pour cette raison au boycott de son établissement. « Devant un auditoire qui bâfre au même râtelier politique et idéologique que lui, note Malouf, […] Khadir marche sur les eaux en accusant le propriétaire du Marcheur de ce qui représente à ses yeux et à ceux de son public, de mauvaises actions qui méritent condamnation : souscrire à la caisse électorale des partis politiques de droite ».
L’accusation de Khadir était d’autant plus grotesque que M. Archambault a émis un communiqué officiel le 31 mars 2011, dans lequel il précisait : « M. Amir Khadir, a délibérément menti à mon sujet, cherchant de cette manière insidieuse à nuire à mon commerce encore plus que lui et ses partisans auront réussi à le faire jusqu’à présent. [Je] n’ai jamais versé le moindre sou à quelque parti politique que ce soit ». Notre communiste lanceur de savates**– qui s’est par la suite dit « rassuré d’apprendre que vous [le propriétaire de la boutique Le Marcheur] n’avez aucune allégeance politique » – était pris en flagrant délit. « Si vous ne trouvez pas méprisante et répugnante cette attitude digne d’un censeur moscovite, eh bien ! moi, si ! », conclut Malouf. Il nomme aussi quelques personnalités de gauche ayant participé, le 25 avril 2011, à une soirée hommage à Khadir : « Louise Harel, chef de Vision Montréal et conjointe de Edmond Omram, vice-président de la Fondation canado-palestinienne du Québec et vieil ami d’Arafat – mais comme le monde est petit ! –, qui, sous le fallacieux prétexte qu’il faut respecter la liberté d’expression, s’était opposée à la motion d’appui au Marcheur présentée au Conseil municipal de Montréal […]. Présent également ce soir-là, l’ex-président de la CEQ, ex-député fédéral, ex-ambassadeur à l’ONU, Yvon Charbonneau ». Malouf présente les principaux événements entourant l’appel au boycott de la boutique Le Marcheur, qu’il qualifie avec raison de « manifestation de bêtise collective ».
Si les premiers chapitres de l’ouvrage sont laborieux, il traite plus loin des liens idéologiques entre l’extrême gauche et l’islamisme, et dévoile les accointances politiques de certains militants. Par exemple, Marianne Breton-Fontaine, « candidate pour le Parti communiste du Canada dans le comté d’Hochelaga-Maisonneuve […] lors des élections fédérales du 2 mai 2011 [fut] également candidate pour Québec solidaire aux élections de 2008 dans le comté de Jacques-Cartier. Communiste à Ottawa, solidaire à Québec, Mme Breton suit les traces de son demi-chef […] qui vote fédéraliste, i.e. NPD, à Ottawa, mais se présente à Québec comme souverainiste ». La seconde partie du livre considère les rapports entre Amir Khadir et « l’ultra gauche » (terme emprunté à Mathieu Bock-Côté) : il s’agit d’un « portrait de famille […] socialiste, dont le rassemblement sous le chapiteau de Québec solidaire est le couronnement d’un long processus ».
Lutte de classe
Pour la gauche, affirme Malouf, le « plus petit commun dénominateur […] (qui emploie pour se décrire l’épithète flatteuse de “progressiste”), c’est d’abord et avant tout le rejet de ce [qu’elle appelle] le “capitalisme”. […] Réunis à Québec solidaire, les “progressistes” mènent donc un combat dont l’objectif ultime est le remplacement de l’économie de marché par une économie planifiée […] pour la fondation d’une société écologiste, féministe et égalitaire (écosocialiste) ». Au sein de Québec solidaire, « un nom ressort : François Saillant [coordonnateur du FRAPRU – Front d’action populaire en réaménagement urbain qui], par exemple, fut membre du Parti Québécois avant de passer au marxisme-léninisme » et de fonder avec Françoise David Option citoyenne, qui allait fusionner plus tard avec l’Union des forces progressistes pour devenir Québec solidaire. Et Malouf de poursuivre :
« Aux élections provinciales de 2007, le Parti communiste du Québec [PCQ] n’a pas présenté de candidats afin d’appuyer ceux de Québec solidaire. […] À l’élection suivante, en 2008, cinq membres du PCQ se sont présentés sous la bannière de Québec solidaire. [Ainsi les électeurs ont] pu voter en toute innocence pour des communistes dissimulés derrière le camouflage de Québec solidaire. […] Le grand méchant loup étant travesti en mère-grand, le petit chaperon rouge [Amir Khadir] n’a même pas le loisir de s’émerveiller à la vue de ses grandes dents. […] Quel scandale ç’aurait été si quelque jeune néonazi s’était présenté aux élections sous la bannière de l’Action démocratique du Québec ! Mme David n’est plus marxiste-léniniste, mais elle abrite sous son aile protectrice un ramassis de m.-l. et de trotskistes recyclés. […] Il a fait des petits, notre ami Khadir. L’une des fondatrices de D’abord solidaire et d’Option citoyenne, Manon Massé, voguait l’été dernier [2011] vers Gaza dans un esquif, le Tahrir, prétendument affrété pour apporter de l’aide humanitaire aux Gazaouis, mais voué en réalité à appuyer le Hamas dans son entreprise de destruction. Une féministe lesbienne alliée à des théocrates misogynes et homophobes, quel dévouement suicidaire ! »
Les Amérindiens
Pierre K. Malouf évoque un autre groupe bénéficiant malgré lui de la « protection » de la gauche, les Amérindiens : « Amir Khadir rendrait de bien meilleurs services au Québec en quittant la politique pour se consacrer à la médecine. [Maître] en contorsions intellectuelles et en pieux mensonges [,] Amir Khadir est solidaire des Amérindiens. À un point tel d’ailleurs, qu’il n’hésite pas à proférer contre le Québec les calomnies les plus insensées. Amir Khadir n’est pas le seul à juger que nous imposons aux populations autochtones un régime d’apartheid. » « Réalité méconnue, explique l’auteur, les Cris disposent d’un revenu personnel disponible supérieur aux Québécois de 16 % en moyenne, 30 172 $ en 2009 comparativement à 26 031 $ pour la moyenne provinciale d’après l’Institut de la statistique du Québec. » Selon Mathieu Bock-Côté, « Khadir développe une stratégie de polarisation en occupant la fonction tribunitienne contre une classe politique relativement homogène malgré ses distinctions partisanes. C’est ainsi qu’il est parvenu à inscrire Québec solidaire dans le jeu politique et à déclasser Françoise David, dont le progressisme soporifique ne parvenait pas à interpeller au-delà de la gauche communautaire et féministe***. » Pour la gauche, la marche vers la souveraineté se fera dans le respect des nations autochtones. « Le Québec sera donc un pays socialiste ou ne sera pas, résume Pierre K. Malouf. Pas la peine de faire l’indépendance en dehors du socialisme. [D’autres] membres de Québec solidaire, les communistes du PCQ, veulent nationaliser les banques et mettre les caisses populaires sous tutelle. Seraient aussi nationalisés en totalité les secteurs de l’énergie, de la santé et de l’éducation, opérant sous contrôle privé. » La tradition occidentale et la langue française sont donc évacuées du revers de la main par ces révolutionnaires patentés. Questionné à propos de son discours sur la « langue de l’oppresseur », le 15 mai 2011 à la Place Gérald-Godin, Amir Khadir a répondu que « même si c’était notre langue commune, le français a souvent été associé à l’oppresseur dans l’histoire, dans les colonies, et au Québec par rapport aux Amérindiens ».
Bisbille entre kamarades
Le 3 août dernier, l’ex-membre du Parti communiste ouvrier et ex-chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a mis en doute les convictions souverainistes d’Amir Khadir, qu’il qualifie d’« opportuniste et de populiste ». Il s’en est pris au député de Mercier et demi-chef de Québec solidaire, dans une charge virulente : « Leur slogan, c’est “Debout”, pis aux élections fédérales, c’était “À genoux devant le NPD !” » raille M. Duceppe, n’ayant toujours pas digéré qu’Amir Khadir ait avoué avoir voté pour le NPD aux élections fédérales de 2011, tandis que le Bloc accusait la pire défaite de son histoire. Il juge aussi que le député de Mercier – qui a été candidat du Bloc québécois en 2000 – apporte à la politique « des réponses simplistes à des questions complexes », préférant « tenter de confondre les gens sur beaucoup de questions », et n’hésitant pas à se comparer « à Gandhi, Luther King et Mandela ». Il a ainsi perdu en chemin toute crédibilité à ses yeux et prétend qu’il est donc « impossible au Bloc québécois et au Parti Québécois de s’entendre avec Québec solidaire ». À la fin de son livre, en se déclarant en faveur d’une charte de la laïcité (laïcisme), Pierre Malouf témoigne de sa complaisance envers le mal qu’il souhaite pourtant combattre. L’idéologie laïciste de M. Malouf et de Djemila Benhabib – actuelle candidate pour le Parti Québécois dans Trois-Rivières – mène tout droit à la société désacralisée, égalitaire et concentrationnaire souhaitée par l’ultragauche politique.
Le libéralisme : fondement idéologique de la gauche
Les élucubrations publiques contre l’ultra-gauche (Pierre K. Malouf), pour une gauche modérée (les libéraux), pour l’anarchie (la CLASSE), contre les symboles religieux (Djemila Benhabib), pour l’avortement universel (les féministes), contre la Famille (les homosexualistes), contre la morale judéo-chrétienne (les athées militants), révèlent les différents visages de la pensée moderne. Elles sont issues du libéralisme qui s’est cristallisé culturellement pour devenir « l’idéologie dominante de notre époque**** ». Quant au postmodernisme, est-ce autre chose qu’un modernisme aggravé ? La politique partisane – de gauche puisque libérale ou furieusement égalitaire – est structurée de telle sorte que toute critique du libéralisme est découragée a priori. À l’inverse, toute action favorisant le libéralisme est soutenue par ces « commanditaires » qui se fondent dans les institutions d’État, les médias, les grandes sociétés corporatives, l’école… C’est ainsi, à mon avis, qu’il faut comprendre l’action exigeante – mais ô combien valorisante dans une perspective chrétienne – de la droite traditionnelle en Occident. Dans un contexte où le véritable adversaire est le libéralisme lui-même – il considère l’homme comme la mesure de toute chose – ne serait-il pas stratégiquement avisé de se doter d’une doctrine politique conservatrice fondée sur la loi naturelle, plutôt que de combattre à la pièce la pléthore d’erreurs institutionnalisées ? L’exemple de Pierre K. Malouf et de sa lutte stérile contre l’extrême gauche québécoise est emblématique; son enquête ressemble finalement (et involontairement) à une réclame. C’est en partie ce qui me motive à poursuivre le développement du mouvement politique d’Action conservatrice traditionnelle (ACT), auquel je convie les personnes de bonne volonté. Toute action politique n’est véritablement féconde qu’enracinée dans une vision claire, ordonnée, intégrale de la Cité.
* Lettre à M. Archambault datée du 4 avril 2011 et portant l’en-tête de l’Assemblée nationale.
** Le 17 décembre 2010, de passage à l’émission Dumont, diffusée au Canal V, Amir Khadir n’a pas caché sa sympathie pour le communisme :
DUMONT – Est-ce que vous êtes membre du Parti communiste […] ?
KHADIR – Est-ce que vous avez quelque chose contre l’existence du Parti communiste ?
DUMONT – Tout à fait. Le Parti communiste dans l’histoire, c’est des millions de morts. […] Mais ils sont vos amis. Vous êtes proche d’eux. Ils sont membres de votre parti aussi.
KHADIR – Mon père […] a des sympathies pour les communistes parce qu’il en a marre que des gens les accusent de n’importe quoi.
*** Mathieu Bock-Côté a sous-estimé la vigueur du « progressisme soporifique » de Françoise David, qui vient d’être élue dans Gouin.
**** Richard Bastien, « La guerre des religions : christianisme et libéralisme postmoderne », Égards, no XXIX, automne 2010.
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