Débats et Polémiques. Une politique d’austérité n’est pas un choix, mais une nécessité (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 2 novembre 2012.

par Richard Bastien

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 37 / AUTOMNE 2012 ]

Richard Bastien

Une première version de cet article est parue dans Le Devoir, le 6 août dernier, sous le titre «L’austérité n’est pas un choix, mais une nécessité ».

Les difficultés économiques et financières qu’éprouvent depuis quelques années les pays occidentaux ne sont pas de nature passagère. Il s’agit en réalité d’une crise profonde suscitée par la politique budgétaire qu’ils pratiquent depuis le milieu des années 1970. Sauf pendant une partie des années 1990, l’endettement des gouvernements n’a cessé de croître au cours des 35 dernières années.

En 2010, l’endettement du secteur public de l’ensemble des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a atteint près de 97,6 % de leur PIB combiné. Autrement dit, la dette publique totale des pays de l’OCDE est maintenant presque égale à la valeur de leur production annuelle de biens et services. Étant donné l’ampleur des déficits budgétaires enregistrés en 2011, on prévoit que le niveau d’endettement (qui ne sera officiellement établi que dans un an) sera encore plus élevé. Mais ce qui est plus inquiétant encore, c’est que le niveau d’endettement augmente plus vite depuis 2008 que lors des années antérieures.

La gravité de la crise varie d’un pays à l’autre, comme l’indiquent les ratios dette/PIB de 2010 publiés récemment par l’OCDE. Le ratio le plus élevé est celui du Japon (200%), le plus faible, celui de l’Estonie (12%). À mi-chemin se trouvent le Portugal (103 %), l’Irlande (102 %), la Belgique (101 %), la France et les États-Unis (94 %). Deux pays sont plus lourdement endettés que ces derniers : la Grèce (147 %) et l’Italie (127 %). Et deux autres le sont un peu moins : le Canada (84,2 %) et le Royaume-Uni (82,4 %).

Ce qui est commun à tous ces pays, c’est que le nombre de travailleurs actifs tend à diminuer par suite du vieillissement de la population et de la hausse du chômage. Or plus on tarde à revenir vers l’équilibre budgétaire, plus la situation risque de se détériorer. Le problème des finances publiques n’est pas uniquement conjoncturel, il est aussi structurel.

Dans une étude récente, (Fiscal Consolidation : Part 3 – Long-Run Projections and Fiscal Gap Calculations), des économistes de l’OCDE ont tenté d’évaluer l’ampleur des sacrifices budgétaires que chacun des pays membres de cette organisation devra consentir pour assurer sa viabilité financière à long terme. Plus précisément, en tenant compte de diverses variables démographiques et économiques, on a tenté de déterminer l’ampleur des hausses de recettes et/ou de compression des dépenses (mesurées en pourcentage du PIB) que chaque pays devrait effectuer pour stabiliser d’ici 2050 son ratio dette/PIB à 50 % (un niveau d’endettement jugé raisonnable). L’étude désigne « écart budgétaire » l’ampleur de l’effort ainsi consenti. Par exemple, si un pays a un « écart budgétaire » de 10 %, cela signifie que son gouvernement doit dès maintenant, et de manière permanente, procéder à des compressions de dépenses et à des hausses de recettes dont la valeur combinée correspond à 10 % du PIB, s’il veut voir son ratio dette/PIB évoluer d’ici 2050 vers 50 %. Bref, l’ « écart budgétaire » constitue un indice de la dimension structurelle du problème des finances publiques.

Cette étude montre que, mis à part la Suisse, la Suède, le Luxembourg et la Corée du Sud, tous les pays de l’OCDE ont un « écart budgétaire », ce qui signifie qu’ils devront tous réduire leurs dépenses et/ou hausser leurs impôts s’ils veulent parvenir à un niveau d’endettement raisonnable d’ici 2050. Le pays dont l’« écart budgétaire » est le plus élevé est le Japon (9,6 %), suivi des États-Unis (6,9 %), du Royaume-Uni (5,75 %), de la Nouvelle-Zélande (5,5 %), de l’Irlande (3,9 %), de la France et de la Pologne (3,1 %) et du Canada (2,5 %).

Ainsi, bien que certains pays de l’Union européenne, notamment la Grèce et l’Espagne, soient aux prises avec de très graves difficultés financières à court terme, dans une perspective à long terme aucun pays de l’OCDE (hormis le Japon) n’est en plus mauvaise posture financière que les États-Unis. Quant au Canada, sa situation pourrait être qualifiée de « moyenne », puisqu’il occupe une position intermédiaire entre les pays mentionnés ci-dessus et une dizaine d’autres pays (Allemagne, Grèce, Pays-Bas, Autriche, Australie, etc.) dont l’« écart budgétaire » se situe entre 2,0 % et 0,4 %.

Au cours des prochaines années, les enjeux économiques dans presque tous les pays développés porteront sur la façon de fermer l’« écart budgétaire » et de réduire le niveau d’endettement. Selon le scénario classique, les partis de gauche choisiront naturellement de proposer des hausses d’impôts et les partis de droite de privilégier les compressions de dépenses, ceux du centre essayant de trouver un juste équilibre entre les deux. Pourtant, il se pourrait fort bien que la gamme des solutions soit plus réduite que ne le laisse croire ce scénario. En effet, on ne peut prélever de nouveaux impôts sans pénaliser de quelque manière le fonctionnement de l’économie. Les hausses d’impôts dans les pays où la fiscalité est déjà lourde entraînent deux types de difficultés : l’évasion fiscale et l’exode des travailleurs spécialisés et des entrepreneurs. L’existence du « marché noir » de la main-d’œuvre au Québec et ailleurs au pays illustre la première de ces difficultés. Le grand nombre d’entrepreneurs et de travailleurs spécialisés qui quittent la France depuis quelques années illustre la seconde : on estime qu’environ 400 000 Français vivraient actuellement à Londres, ce qui en ferait la quatrième plus importante ville francophone en Europe – après Paris, Lyon et Marseille.

Si les possibilités de hausser les impôts sont limitées, les gouvernements devront forcément procéder à des compressions de dépenses, et notamment des dépenses «discrétionnaires», c’est-à-dire liées aux programmes sociaux. Il s’agit là d’opérations politiquement suicidaires puisqu’elles ne font que des « perdants ». Pourtant, elles s’avèrent nécessaires. On se demande d’ailleurs pourquoi des gens sensés voudraient faire une carrière politique dans une conjoncture où les choix sont aussi peu attrayants. Mais il y aura toujours des Pauline Marois, des Françoise David, des Thomas Mulcair pour promettre des châteaux en Espagne à une population vilement exploitée à des fins électorales. Les membres de la classe politique sont conscients des problèmes que nous réserve l’avenir. Mais ce qui leur tient le plus à cœur, c’est leur avenir. D’où leur empressement à parler de tout sauf de la dure réalité qui nous guette.

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