Notes de lecture. Saint Augustin, Le Mensonge (texte intégral)
Mise en ligne de La rédaction, le 24 janvier 2013.
Notes de lecture. Saint Augustin, Le Mensonge, traduction de Gustave Combès, préface de Jean-Marie Salamito, Paris, Éditions de l’Herne, 2010
par Benoît Miller
[ EXTRAITS DU NUMÉRO 38 / HIVER 2012-2013 ]
À la lecture du De mendacio de saint Augustin, j’offre ces notes brèves et bigarrées.
Tout au début de l’opuscule, le calame de l’auteur déborde de cette lumière intraitable: «Les censeurs sévères [me] disent: vous êtes allé trop loin. Mais la vérité peut répondre à son tour: ce n’est pas encore assez» (p. 18). Ce n’est pas la maîtrise de l’éloquence qui animait le génie d’Augustin, mais «l’amour de la vérité» (p. 82).
À moins d’invoquer la magie, peut-on penser le vrai à partir du doute absolu (tabula rasa)? Ce qui risque d’entrer plus aisément dans les places vides et propres, c’est le démon multiplié.
Le théologien (et philosophe), qui naît de l’Église, part de la vérité aimée pour la rejoindre plus intensément dans la beauté de la vie bienheureuse: «Tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais trouvé» (Pascal, Pensées, fr. 553, éd. Brunschvicg).
Dans L’Illusion féconde, Gustave Thibon nous dit que «plus on monte, plus la vérité exige la foi». Sans la foi, l’infinie clarté du Verbe ne peut être entendue. La crise spirituelle des baptisés en Occident est un désaveu d’obéissance à la Parole: il ne serait pas raisonnable de croire à la participation du salut en mangeant du blé qui serait «chair» et en buvant du vin qui serait «sang». Les raisons sociopolitiques de cette démission ne sont que des excuses concupiscentes.
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Pour traiter la question du mensonge qui est «enveloppée de mystère» (p. 17), saint Augustin entreprit une enquête.
L’enquête commande l’acharnement. Elle collige les opinions, débroussaille les amas de sens, distingue le vrai du faux, éclaire la nature des choses, dévoile les motifs doctrinaires, interroge jusqu’au tournis et conclut dans la justesse et la justice. L’enquête morale d’Augustin désarme le chaos du mensonge. Elle en «dissipe la nue» (La Fontaine parlant du soleil) avec le pinceau d’Ingres.
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La lecture en est fastidieuse. Augustin lui-même l’a reconnu. Mais dans ses Retractationes, il la recommande pour honorer le labeur de la vie intellectuelle: «Bien que [De mendacio] soit difficile à comprendre, sa lecture n’en est pas moins un exercice utile pour l’esprit et a de plus l’avantage pratique de nous inspirer l’amour de la sincérité dans les paroles» (I, in fine).
Nous avons oublié cette exigence en catéchèse. Sans l’étude attentive et persévérante des fondements de la foi chrétienne, nous risquons d’abandonner les jeunes à l’idée d’une Église livrée aux seuls sentiments, – donc naïve plutôt que sainte. La lecture aimante du catéchisme officiel est un lieu de fraternité et de prière qui s’accorde à la sagesse d’une autorité bienveillante et généreuse, d’une doctrine qui «fait retentir» (katekhein) l’intelligence et le cœur au mystère de Dieu. Elle désavoue les forces maléfiques du monde. Mais comment mobiliser l’exigence de cette discipline religieuse dans le confort exténuant de la vie moderne? Certains attendent un miracle, d’autres se fient à la Providence. Mais ni l’un ni l’autre ne peut nous dégager de la responsabilité apostolique. Il nous faut retirer nos sandales pour «accomplir le sacré» (sacrum facere: sacrifice) sous la puissance de la grâce. Et agir dans le sens du bien par la vertu de prudence.
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Le mensonge est une «intention de l’esprit» (animi sententia). Et cette intention consiste à «tromper» l’autre: «Aussi dit-on que le menteur a un coeur double, c’est-à-dire une double pensée» (p. 20-21). Nous ne pouvons nous dérober de la conscience d’avoir menti. Nous savons quand nous mentons. Le cœur de l’homme qui dit vrai est symbolique. Celui du menteur est diabolique.
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L’interprétation de la Bible peut être ordonnée soit à la sagesse du Verbe incarné, soit à la crasse du Satan idéologue. C’est l’enjeu métaphysique de toute herméneutique.
Le De mendacio se présente sous la figure extrême de cet enjeu. Contre une exégèse savante de la sainte Écriture permettant l’usage du mensonge jusqu’à parfois «être digne de louange» (p. 27), Augustin démontre «l’obligation de ne jamais mentir» (p. 93). Alors que ses adversaires qui, comme de faux prophètes, rassurent le peuple en affirmant que le pire des mensonges pourrait être permis, l’auteur demeure foudroyant de vérité en fixant même l’interdit du mensonge le plus excusable.
D’aucuns observeront la sévérité d’Augustin. Mais rien chez lui n’a la froide intransigeance de Jansénius ou la triste formalité de Baïus, ses commentateurs égarés par le naturalisme. La fermeté dogmatique et morale de saint Augustin ouvre l’homme à la vie divine.
Ce qui servit la jalousie du Serpent à l’origine, c’est le mensonge. C’est en cela que celui-ci est encore utile à notre chute.
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La seule visée d’Augustin, par l’interdiction absolue du mensonge, est la sainteté de l’âme.
Puisqu’il ne se croit pas gréé de l’âme, l’homme moderne se pense comme un cadavre. Et il ose traiter saint Augustin de pessimiste…
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Le plus grave des mensonges est celui qui est proféré en matière de religion: «Si le mensonge est détestable quand il nuit aux intérêts temporels d’autrui, combien l’est-il davantage quand on l’atteint dans ses intérêts éternels!» (p. 59) Même quand il s’agit de chercher la conversion d’une personne, le mensonge est «un faux témoignage et une répréhensible tromperie» (p. 60).
On ne bâtit pas maison sur le sable. Mieux vaut la vérité qui repousse les hommes (Jn 6, 22-66) que le mensonge qui les séduit (Gn 3, 13).
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Pour saint Augustin, le mensonge est un péché… Pour la plupart des hommes, c’est un art.
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