Benoît XVI, défenseur de la foi et de la raison* (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 21 avril 2013.

par Richard Bastien

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 39 / PRINTEMPS 2013 ]

Benoît XVI

Ce que l’on retiendra avant tout du pape Benoît XVI, ce sont ses qualités humaines et son apport exceptionnel à une analyse critique et positive de la modernité dans ses rapports avec la foi.

À un niveau plus personnel, les gens qui le connaissent de près insistent sur sa courtoisie, son humilité, la discrète chaleur de son amitié, ainsi que sa remarquable intelligence.

Son abdication est sans doute son plus grand acte d’humilité; bien que plusieurs s’en soient étonnés, certains indices laissaient croire qu’elle pourrait avoir lieu. Lors d’une longue entrevue accordée en 2010 au journaliste allemand Peter Seewald et publiée sous le titre Lumière du Monde – Le pape, l’Église et les signes des temps, Benoît XVI avait été invité à préciser s’il pouvait imaginer une situation où il quitterait ses fonctions. Il avait alors répondu: «Si un pape se rend compte qu’il n’a plus la capacité physique, psychologique et spirituelle d’exercer sa charge, il a alors le droit et, dans certaines circonstances, l’obligation, d’y renoncer.» Par ailleurs, des observateurs avaient signalé qu’en deux occasions, le pape s’était recueilli sur la tombe de Célestin V, le moine du XIIIe siècle qui, peu après avoir accédé au trône de Saint-Pierre, adopta un décret conférant à tout souverain pontife le droit d’abdiquer et exerça ce droit quelques jours plus tard.

Benoît XVI a la réputation d’être un érudit et un musicien – il affectionne en particulier la musique de Mozart. Et il aime les chats. Un livre pour enfants intitulé My Friend Joseph a paru il y a quelques années; il est censé avoir été écrit par son chat Chico (personne ne semble connaître le véritable auteur). Selon la préface, rédigée par son secrétaire particulier, Monsignor Georg Gänswein, tout ce qu’affirme Chico est vrai.

En public, Benoît XVI paraît calme et posé, mais on décèle aisément que, à l’encontre de son prédécesseur Jean-Paul II, il n’est jamais parfaitement à l’aise devant les foules et préfère à l’intense et bourdonnante activité d’une institution mondiale l’ambiance paisible et feutrée des cercles universitaires. Benoît XVI s’est toujours perçu comme un serviteur de l’Église, mais il aurait joyeusement laissé sa charge pontificale à quelqu’un d’autre s’il en avait eu le loisir. Il aurait même avoué à ses proches avoir prié après le premier scrutin du conclave de 2005, se disant intérieurement: «Je vous en prie mon Dieu: ne me faites pas ce coup». D’ailleurs, Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il avait trois fois demandé à être relevé de ses fonctions.

Sa charge a été rendue particulièrement pénible par les révélations sur les sévices sexuels commis par des membres du clergé en Irlande et aux États-Unis, révélations qui ont été ressenties comme une humiliation par tous les catholiques.

Ce que nous lègue Benoît XVI, c’est d’abord sa défense de la dignité humaine contre les multiples entreprises de néantisation de l’homme. En cela, il aura été un fidèle continuateur de l’œuvre de Jean-Paul II. Élu pape en 1978, ce dernier ne tarda pas à incarner aux yeux du monde entier la soif de liberté des peuples vivant sous le joug communiste, notamment dans les pays occupés d’Europe de l’Est. Parallèlement, Benoît XVI (cardinal Ratzinger), alors gardien de l’orthodoxie doctrinale, s’employait à extirper les graines de totalitarisme que recelait la théologie de la libération, qui se répandait alors comme une traînée de poudre dans les écoles de théologie latino-américaines.

Une fois élu pape, Benoît XVI a vigoureusement dénoncé les violentes persécutions contre les chrétiens dans les régimes islamiques d’Afrique et du Moyen-Orient, ainsi que les interdictions religieuses imposées par les gouvernements chinois et nord-coréen. En outre, il a entrepris une critique systématique du sécularisme, spirituellement débilitant, qui fait de plus en plus figure de religion civile en Europe et dans la sphère anglo-saxonne.

Benoît XVI a été une figure de proue dans la lutte contre la «normalisation» de la révolution sexuelle, notamment en matière de droit matrimonial. Ses homélies et allocutions nous rappellent constamment que l’homme ne peut être réduit à un simple mécanisme biologique et que l’union des corps ne peut être source d’épanouissement que si elle exprime une unité personnelle et spirituelle.

Le pontificat de Benoît XVI a été également à l’origine de progrès œcuméniques importants. La création d’un Ordinariat pour les anglicans souhaitant s’unir à Rome pourrait dans quelques années apparaître comme une de ses plus belles réalisations. Il y eut en outre un rapprochement sensible avec l’Église orthodoxe, désormais perçue comme une alliée dans la lutte contre le sécularisme virulent des pays européens.

Mais le legs le plus riche de Benoît XVI sera probablement son enseignement sur les rapports entre foi et raison. Dans quatre conférences magistrales qu’il a prononcées au cours de son pontificat – celles de Ratisbonne (2006), du Collège des Bernardins à Paris (2008), de Westminster Hall à Londres (2010) et du Bundestag à Berlin (2011) –, il n’a eu de cesse de répéter que foi et raison sont indispensables à la recherche de la vérité et que leur relation n’est pas accidentelle ou externe, mais essentielle et intrinsèque.

Le principe de complémentarité naturelle entre foi et raison présuppose qu’une rupture du lien qui les unit conduit au désordre et entraîne des pathologies aussi bien de la raison que de la religion. Dans le cas de la raison, la pathologie se manifeste notamment par une incapacité de l’esprit à saisir une vérité autre qu’empirique et, par conséquent, à fonder rationnellement des positions morales ou politiques. Dans le cas de la religion, elle se manifeste entre autres par une conception strictement émotive ou sentimentale de la foi, ne laissant aucune place à la rationalité. Autrement dit, le rejet du lien unissant foi et raison revient à nier la possibilité d’aborder de manière rationnelle des questions qui ne relèvent pas des sciences naturelles.

Il n’y a pas à proprement parler de raison chrétienne, affirme Benoît XVI, mais il y a un exercice chrétien de la raison ou, plus précisément, un exercice de la raison éclairée par la foi. Et s’il en est ainsi, c’est parce que les grands problèmes auxquels nous nous heurtons concernent à la fois la raison, c’est-à-dire la philosophie, et la foi, c’est-à-dire la théologie. Il y a un aspect tragique dans la vie de Benoît XVI; c’est la fin de non-recevoir qu’oppose à ses propos d’une rare intelligence un monde de plus en plus christophobe.

L’atmosphère culturelle, en ce début de XXIe siècle, est sulfureuse, anti-biblique et intolérante. Elle prétend que le comble de la maturité intellectuelle consiste à faire les choses «comme je veux» et que quiconque refuse de souscrire au culte de l’«autonomie personnelle» en adhérant à la tradition judéo-chrétienne est un idiot ou un bigot. Cette vision simpliste du monde, à laquelle souscrivent beaucoup de Québécois, clercs ou laïcs, est promue et entretenue par les médias et les soi-disant «élites» intellectuelles. Leur unique ambition est de voir l’Église donner son imprimatur à la révolution sexuelle et au progressisme et, en fin de compte, de vaincre les «forces de l’absolutisme», c’est-à-dire Dieu lui-même, afin d’établir leur propre absolutisme. Ils considèrent Benoît XVI comme un ennemi à abattre parce qu’il refuse de bénir leurs lubies.

Cet «ennemi» est notre héros.

* Une version anglaise de cet article est parue dans l’édition du 4 février 2013 de l’Ottawa Citizen.

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