Égards

par Luc Gagnon

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 39 / PRINTEMPS 2013 ]

Le 12 février 2013, le projet de loi socialiste instituant le mariage homosexuel et l’adoption d’enfants par les couples homosexuels en France a été solennellement ratifié à l’Assemblée nationale, malgré une forte opposition des partis de droite, dirigée par les énergiques députés UMP Hervé Mariton et Henri Guaino, et l’immense manifestation du pays réel tenue à Paris le 13 janvier, qui a réuni entre 350 000 (selon le ministère de l’Intérieur) et un million de personnes (selon les organisateurs et des publications de droite comme Le Figaro). C’était la plus importante manifestation française depuis 1984, qui avait rassemblé les citoyens catholiques contre le projet de loi mitterrandien qui aurait aboli la liberté scolaire et le financement public des écoles catholiques.

Marine Le Pen a étonné l’électorat de droite en n’appelant pas les militants frontistes à manifester et en s’abstenant elle-même d’y participer. Son prétexte? Le projet de loi de la garde des Sceaux Taubira ne serait qu’un dérivatif pour faire oublier «la politique d’austérité et de saccage social» du gouvernement socialiste et la manifestation qu’une «tentative grossière de récupération politicienne et d’enfumage social» au service de la prétendue UMPS (UMP et PS), de la domination des principaux partis politiques français qui ne formeraient qu’un couple bonnet blanc et blanc bonnet, selon la passionaria du national-populisme. Elle prétendait ne pas vouloir former des troupes supplétives à l’UMP qui était en tête de cortège, représentée par son président Jean-François Copé et de nombreux autres députés et anciens ministres. Son père a justifié son absence de la manifestation parisienne par sa participation à une galette des rois avec des militants frontistes en Normandie: quand on a le sens des priorités…

Cette dérive mariniste était à prévoir depuis longtemps. Durant la campagne présidentielle de 2012, elle chantait déjà ce refrain du caractère secondaire des questions éthiques face à la défense vigoureuse du mariage et de la famille du candidat Sarkozy contre la proposition 31 du programme de François Hollande. Certains commentateurs imbéciles de la droite anti-sarkozyste et de l’extrême droite répétaient sur Radio Courtoise et ailleurs cette antienne mariniste du complot anti-système UMPS; ils se retrouvent maintenant dans la rue, étonnés de la présentation de ce projet de loi contre-nature, qui va sûrement passer toutes les étapes législatives puisque la gauche détient le pouvoir politique à tous les niveaux: Présidence, Assemblée nationale, Sénat. L’abstention au deuxième tour de l’élection présidentielle de mai 2012 de ces idiots utiles a contribué à la victoire assez serrée du candidat Hollande. Marine Le Pen avait d’ailleurs refusé d’appuyer l’un ou l’autre des candidats en parlant bêtement et de façon excessive d’un choix entre la peste et le choléra alors que Jean-Marie Le Pen avait logiquement appelé ses électeurs, en 1988, «à ne pas donner une voix» à la gauche au deuxième tour de l’élection présidentielle. Jean-Luc Mélenchon, candidat d’extrême gauche à la dernière élection présidentielle, avait comparé avec humour – et non sans justesse – les aspirants au pouvoir avec les frères Dalton: tout le monde sait que le plus malin est le plus petit (Sarkozy) et que la plus bête est la plus grande (Marine). C’est Averell qui a encore fait perdre Joe au grand dam de la droite et des valeurs traditionnelles. Mais Marine s’en balance, le mariage n’est pour cette gestionnaire de PME politique, le front familial Le Pen, qu’une question accessoire, alors que la ministre Taubira a elle-même admis que le mariage homosexuel constitue un «changement de civilisation». Toutes les grandes religions en France se sont d’ailleurs fortement et intelligemment mobilisées contre ce prétendu mariage et le Grand Rabbin de France Gilles Bernheim a rédigé une magnifique défense du mariage que le Pape Benoît XVI a publiquement appuyée et citée.

Pour Marine Le Pen, ce qui compte, c’est de rameuter la population contre l’immigration et la viande hallal! Elle a consacré beaucoup plus de temps au cours de la dernière année à s’opposer au complot musulman de la viande hallal en France qu’au mariage homosexuel: on voit bien où se trouvent ses priorités et sa clientèle. Elle se raccroche aux derniers lambeaux xénophobes et sans fondement des programmes du Front national en prônant de façon absurde l’immigration zéro et la sortie immédiate de la zone euro, ce qui ramènerait par miracle des milliards et des milliards au trésor français selon ses pseudo-experts qui requièrent l’anonymat pour intervenir à ses conférences de presse, tout en condamnant démagogiquement le libre marché et la «mondialisation», dont les gouvernements français, même socialistes, doivent accepter les règles nolens volens. Elle considère que 200 000 immigrants par année représentent une calamité démographique et économique pour la France. Pourtant, ce nombre est beaucoup moins élevé qu’au Canada et aux États-Unis, par exemple. Aussi Marine Le Pen refuse-t-elle de distinguer les milliers d’étudiants asiatiques et occidentaux rentables pour la société française et nécessaires au dynamisme universitaire, des islamistes profiteurs, vandales et meurtriers. Elle préfère les «solutions» faciles. La sortie unilatérale française de l’euro constituerait, selon une majorité d’économistes professionnels, une catastrophe monétaire avec une dévaluation immédiate d’environ 20 % de la devise française. Mais Marine ne s’en préoccupe pas outre mesure puisque, heureusement, elle ne prendra pas le pouvoir prochainement: en attendant, elle peut toujours suivre au château de Montretout des cours de rattrapage nocturnes en économie surréaliste 101 avec ses énarques masqués.

Le gouvernement socialiste prépare au moins deux autres projets de loi calamiteux: le droit de vote des étrangers aux élections municipales et l’euthanasie. Comment réagira le FN mariniste? Il s’opposera sûrement avec plus de vigueur au premier, car il fait partie du fond de commerce du vieux FN et renvoie à sa xénophobie fondatrice. Le président Hollande commence déjà à louvoyer quant à cette promesse qui se heurte à la conception républicaine, même gauchiste, de la citoyenneté et qui nécessiterait un changement constitutionnel. Le projet de légalisation de l’euthanasie ira fort probablement de l’avant et on peut prévoir encore une faible résistance de Marine Le Pen et de son front bleu-rose, qui a déjà décrété que ce sujet «de société» n’était qu’un «faux clivage» entre Sarkozy et Hollande, brouillant une fois de plus les repères gauche-droite. Le FN a continuellement reculé sur ces sujets d’éthique sociale depuis la montée de Marine Le Pen, vers 2002, et le départ des catholiques traditionalistes à la suite de Bernard Antony et Jacques Bompard. La cheftaine du «Rassemblement Bleu Marine», nom de son regroupement électoral bidon des élections législatives de juin 2012, se dit aujourd’hui tout à fait satisfaite de la loi Veil de 1973, qui a ouvert les vannes à l’avortement en France, alors que le programme frontiste préconisait son abolition jusqu’au début des années 2000.