Notes de lecture. Jacques Brassard, Hérésies
Mise en ligne de La rédaction, le 9 août 2013.
Par Richard Décarie
[ EXTRAITS DU NUMÉRO 40 / ÉTÉ 2013 ]
Jacques Brassard fait partie de ces rares ex-élus québécois (1976-2002) qui vieillissent bien. Son livre, Hérésies, témoigne de l’évolution de cet homme politique formé en histoire et en pédagogie dans les officines de la Révolution tranquille. Il ne faut donc pas s’étonner que la préface soit de Mathieu Bock-Côté, qui combat lui aussi les «dogmes officiels de la rectitude politique». C’est dans ses chroniques hebdomadaires de 2003 (au journal Le Quotidien de Chicoutimi) à nos jours (au Journal de Québec depuis 2012) que Jacques Brassard a trouvé son chemin de Damas. Il avoue d’ailleurs candidement aujourd’hui, à propos de l’idéologie «réchauffiste» – mais cela s’applique également, comme on le verra, à toute l’idéologie socialo-libérale imposée par la haute fonction publique et la «ligne de parti» – que durant sa carrière de député et de ministre, peut-être étourdi par «les briefings» qui «se succèdent», il n’avait pas mis en doute les articles de foi des médias et des politiciens: «Me suis-je posé des questions sur le bien-fondé de ce credo? Pas le moins du monde. Je l’avoue honteusement.»
À une époque où l’idéologie soixante-huitarde pouvait se servir, comme repoussoir du conservatisme traditionnel, de la figure honnie, caricaturée et encore vive dans les mémoires d’un Maurice Duplessis, il était difficile de contester les dogmes progressistes. Stimulée et justifiée par le projet souverainiste, la carrière politique partisane d’un Jacques Brassard, qui a duré plus de vingt-cinq ans, s’est passée trop à gauche pour lui permettre de saisir sur-le-champ l’ampleur du marasme politique dans lequel le Québec allait s’enliser.
En 2013, M. Brassard se dit «en rupture de ban avec une bien-pensance oppressante», qu’il désigne avec Ivan Rioufol «sous le nom de tyrannie du politiquement correct», cette «Pensée Unique obligatoirement de gauche». Il aime à dire que depuis son retrait de la vie politique partisane, il a le bonheur de lire, et de réfléchir aux causes de l’hégémonie actuelle de l’État dit progressiste, qui est en fait plus ou moins socialiste et donc «étatiste». Comprenant qu’il a été manipulé pendant plusieurs années, il reproche aux intellos et aux technocrates de s’être acharnés «à faire du peuple québécois une nation sans racine et sans héritage, dont l’identité doit être rapetissée pour faire place au multiculturalisme». Jeune septuagénaire, M. Brassard réalise que les quatre cents ans d’histoire de ce peuple français en terre d’Amérique ont été balayés du revers de la main par une technocratie qui veut abolir les valeurs judéo-chrétiennes, «patrimoine, traditions, culture, tout ce qui fait notre substance identitaire», des valeurs repoussées «dans les marges pour cause d’archaïsme et de désuétude». De l’écologisme au multiculturalisme, en passant par l’islamisme et la dictatoriale imposition du cours Éthique et culture religieuse (ÉCR), cette «nouvelle religion, qui s’enseigne déjà dans nos écoles, consiste en une macédoine socialo-écolo-pacifiste assaisonnée d’altermondialisme et de haine de soi», une haine allant jusqu’à l’»exécration de la civilisation occidentale». M. Brassard demeure convaincu que «la solution pour le Québec […], c’est l’indépendance». Je crois plutôt qu’à l’ère de la mondialisation, inéluctable, l’indépendance politique du Québec n’est pas une fin en soi (si elle le fut jamais). Il reste qu’on peut se réjouir de compter Jacques Brassard parmi la poignée de conservateurs québécois encore actifs dans l’espace public.
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