Notes de lecture. Fernand Ouellette, À l’extrême du temps. Poèmes 2010-2012 (texte intégral)
Mise en ligne de La rédaction, le 16 février 2014.
Notes de lecture. Fernand Ouellette, À l’extrême du temps. Poèmes 2010-2012, Montréal, Les Éditions de l’Hexagone, 2013
par Benoît Lemaire. ptre
[ EXTRAITS DU NUMÉRO 42 / HIVER 2013-2014 ]
Le Québec ancré au meilleur est admirable. Un de ses fils vient l’illustrer une fois de plus en publiant À l’extrême du temps, poèmes à la tonalité testamentaire qui témoignent de la quête acharnée de toute une vie. Fernand Ouellette, enraciné comme un chêne au Québec, a toujours voulu diffuser cette musique intérieure qui oriente et invite à l’élévation.
À considérer les prix prestigieux qu’il a reçus, son rôle dans la fondation du groupe de L’Hexagone et de la revue Liberté ses émissions culturelles à Radio-Canada et sa fonction de directeur de collection chez Fides, il apparaît que cet écrivain est un être d’exception.
À travers une œuvre poétique surabondante, une recherche passionnée surgit en perce-neige accompagnée d’une musique de Mozart. Une symphonie est esquissée dont le leitmotiv est présent sans être nommé. Le dernier poème du présent recueil nous le révèle. Il faut même s’arrêter pour le remarquer.
«Notre désir est sans remède». Ce mot de Thérèse d’Avila peut se lire en filigrane à travers l’œuvre de Fernand Ouellette. C’est du fond de l’épuisement de son désir que l’auteur dévisage la mort. Son poème Rochers s’impose. Peut-être même, comme le pense Hugues Corriveau, que la signification de son œuvre tient dans ces vers:
L’esprit à l’aveugle va
Parmi des rochers empanachés
De brumes.
L’angoisse aggrave son errance,
Maintient des ouvertures
Pour le grand œuvre du silence.
N’importe, le cœur,
En des temps
Encore généreux de lendemains,
Reste en vigilance,
Assimile les fragments de missives
Envoyés de l’aube
Tout au long du trajet,
Avec une sérénité
Dévisageant la mort.
Pour Schopenhauer, la mort est le grand messager de la philosophie. Jean-Paul Sartre, dans son ouvrage autobiographique Les Mots, illustre à l’extrême la hantise de la mort, et sa recherche obsessive de salut est troublante. Cette quête métaphysique est bien de notre temps. C’est à croire que la philosophie est «une recherche d’un salut sans Dieu», pour reprendre l’expression d’André Comte-Sponville.
La philosophie ne serait-elle que cela? À la réception du prix Nobel, Saint-John Perse déplorait la myopie d’une philosophie sans métaphysique et d’une poésie sans horizon. Fernand Ouellette ne ferait-il pas écho au prix Nobel de littérature de 1960?
Tout en explorant la condition humaine, les limites humaines, il sonde «le mystère qui n’est pas un mur où l’intelligence se brise, mais un océan où l’intelligence se perd» comme disait Gustave Thibon. Face à la finitude, à l’extrême du temps, l’homme devient métaphysicien et conclut avec Jean Guitton qu’il n’y a plus d’autre choix: l’absurdité ou le mystère. Ouellette continue ainsi sa recherche verticale, son forage à ciel ouvert.
Épris de transcendance, notre auteur ne veut cependant pas qu’il y ait confusion des genres.
Ce poète est aussi philosophe, plus encore, chercheur d’un au-delà capable d’évoquer le mystère et d’accompagner le croyant, sans être un poète chrétien comme Patrice de La Tour du Pin. Son ouverture au divin lui permet de réfléchir les mystères de sa foi et de diffuser la lumière qui permet à l’homme de vivre pleinement.
On ignore tout de Fernand Ouellette si on ne connaît pas l’essayiste croyant qui, loin de rougir de sa foi, n’hésite pas à se présenter comme il est. Un des rares intellectuels à revenir à l’Église alors que la plupart en sont sortis. Un catholique fier et fervent, comme l’était Maurice Clavel, est un être étrange dans le monde des intellectuels contemporains.
Ce poète se révèle en profondeur dans L’Éclat du Royaume, véritable synthèse de théologie inspirée des Pères de l’Église d’Orient. À la lecture de cet ouvrage, un de nos théologiens les plus renommés qualifia l’auteur de «poète théologien». Dans le même créneau, son Chemin de croix est peut-être le plus bel écrit mystique de notre époque. Il possède une densité qui rappelle ceux de Paul Claudel.
Il importe également de lire son autobiographie: Le Danger du divin. Il ne s’y donne pas le beau rôle, il manifeste l’insuffisance de l’homme sans Dieu; s’en approcher est dangereux, nous pourrions être convertis! Merveilleuse transformation obtenue grâce à l’intercession d’une petite carmélite morte à l’âge de vingt-quatre ans: son prénom est Thérèse.
Ce poète québécois nous fait honneur, il inspire et interpelle. Je me souviens, pour lui, n’est pas qu’un slogan creux. Il confronte ceux pour qui le crucifix de l’Assemblée nationale n’est qu’un objet folklorique. Fernand Ouellette, écrivain à connaître et à reconnaître bien au-delà de la musique de ses mots.
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