Le temps du monde: liberté virtuelle ou esclavage réel?
Mise en ligne de La rédaction, le 18 mai 2014.
par Christian Monnin
[ EXTRAITS DU NUMÉRO 44 / PRINTEMPS 2014 ]
Nous avons vécu les quinze dernières années ensorcelés par un mirage dont les volutes commencent à se dissiper. Le réel, déjà liquéfié par la condensation de l’espace et du temps, avait semblé s’évaporer en virtualités. Petit à petit, le brouillard se lève, un rayon de lumière perce l’infonuage.
Mécanisation, informatisation, virtualisation furent trois révolutions emboîtées, comme les étages d’une fusée, dont l’essence est contenue dans le gros propulseur. Mécaniser, affirme Littré, c’est «rendre semblable à une machine»: simplifier, uniformiser, automatiser, reproduire à l’infini. Informatiser, c’est mécaniser la pensée. Virtualiser, c’est mécaniser l’être. Vertigineuse ascension! Victoire écrasante de l’apesanteur sur la gravité. Nous sommes béats dans la capsule orbitale, scrutant les images satellite de Google Earth, happés par la trompeuse proximité de tout, par la disponibilité globale du monde. Aussi cette «présence totale» est-elle une forme d’absentéisme, une désertion du réel.
La dématérialisation, ce vieux rêve, paraît sur le point de se matérialiser enfin, au mépris des paradoxes. La résistance des matériaux vaincue: largage de la table des matières, désarrimage du tableau périodique des éléments et autres tables de la loi. Place aux tablettes numériques. Et retournement des nombres contre la pierre, contre la matière, dont ils ont d’abord servi à dresser l’inventaire. Avant de procéder à sa liquidation pour l’avènement d’une nouvelle Mésopotamie et dans un grand remake de l’Exode.
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