Le terrorisme recyclé (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 5 mars 2015.

par Matthieu Lenoir

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 46 / FÉVRIER-AVRIL HIVER 2015 ]

La Bataille de Poitiers (détail)

La France a vécu durant les premiers jours de janvier 2015 deux chocs historiques. Le plus prévisible fut l’attaque coordonnée de trois islamo-terroristes qui ont assassiné dix-sept personnes sur trois théâtres d’opération en région parisienne, avant d’être eux-mêmes occis par les forces de l’ordre. La « séquence », comme on dit désormais, a commencé par un attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, un hebdomadaire satirique d’extrême gauche en quasi-cessation de paiement qui avait eu le courage de publier des caricatures de Mahomet, non sans avoir depuis longtemps pris l’habitude de portraiturer de la façon la plus sordide et récurrente les papes de l’Église catholique. Douze morts parmi lesquels les meilleurs crayons du journal – Cabu, Chard… –, un célèbre économiste keynésien proche de François Hollande, Bernard Maris, des employés et, pour faire bon compte, deux policiers, dont un d’origine arabe. Ceci avant que les deux auteurs du massacre, âgés d’un peu plus de vingt ans, les frères algéro-parisiens Kouachi, n’entament un périple de deux jours et ne finissent «neutralisés» sous un feu nourri au sortir d’une imprimerie de Seine-et-Marne dans laquelle ils s’étaient retranchés.

Parallèlement, un Franco-Malien dénommé Amedy Coulibaly, issu du même marigot islamo-parisien dit «des Buttes-Chaumont», tuait de sang-froid, d’une balle dans le dos, une jeune policière municipale d’origine antillaise, puis pénétrait dans une supérette kasher de la Porte de Montreuil où il massacrait quatre personnes avant de s’y enfermer de longues heures durant, une partie de la clientèle s’étant réfugiée dans la chambre froide grâce à un employé… musulman. L’assaut, donné simultanément à celui de l’imprimerie, fut fatal à ce robocop du désert âgé de trente-deux ans. On devait découvrir qu’il avait auparavant commis d’autres méfaits, en particulier une courageuse tentative d’assassinat à l’arme automatique sur la personne d’un infidèle coureur à pied armé de baskets et d’un survêtement.

Les trois joyeux chenapans avaient coordonné leurs tueries, s’étaient réclamés d’Al-Qaida au Yémen, avaient effectué des « stages » d’initiation au jihad islamique dans l’Orient compliqué. Les frères Kouachi avaient fréquenté l’une des mosquées les plus intégristes de Paris, avaient un temps été placés sous surveillance des services antiterroristes avant d’être perdus de vue sous le prétexte qu’ils s’étaient rangés. Étrange légèreté. Ce petit monde était bien connu de la Justice et aurait perfectionné son endoctrinement en prison, peut-être grâce aux soins pédagogiques de Mohamed Beghal, vieil islamo-terroriste confirmé et embastillé. Certains services ont-ils laissé faire en prenant le risque d’un dérapage incontrôlé ?

Le second événement, plus surprenant quoique assez prévisible, a été la mobilisation populaire qui a suivi ces trois jours de bruit, de fureur, de sang et d’éructations islamistes. Le dimanche suivant, jour du Seigneur (mais l’on n’en dira rien), trois millions sept cent mille personnes ont défilé dans les rues des villes de France, selon les décomptes des services officiels. D’habitude, ces derniers sous-estiment les participations aux manifestations. Cette fois-ci, aucun recoupement n’a pu être effectué puisque ces défilés ont été, de fait, organisés par lesdits services officiels. À Paris défilèrent brièvement président, premier ministre et une tripotée de chefs d’États et ministres étrangers – étaient représentés la très souriante Turquie, la Russie libérale et autres pays réputés pour la liberté de leur presse. Or depuis le début des événements, un curieux phénomène s’était produit: les Français étaient supposément tous devenus «Charlie». Sans coup férir la feuille de chou libre-penseur, soixante-huitarde, scatologique, violemment anticléricale qui, depuis trente ans, déversait son mépris sur le Français de base réduit au rôle de «beauf» sous le crayon de Cabu, devenait l’idéal de tout un peuple. Inespérée revanche d’une élite nihiliste sur le point de perdre son dernier perchoir, son magistère intellectuel et « moral », réduite aux acquêts par le surgissement des blogs, d’une presse conservatrice en plein essor, d’intellectuels brillants et populaires conspuant les mensonges de l’oligarchie étatique, d’un mouvement familialiste profondément chrétien capable lui aussi de submerger les villes.

«Charlie Hebdo» devenu la victime émissaire de musulmans terroristes au nom de leur dieu, «Charlie Hebdo» transformé en référent identitaire de tout un peuple par la magie de quelques communicants, par le credo éculé et fallacieux d’une «liberté de la presse» supposée, et par la puissance de l’appareil d’État. Renversement dialectique s’accompagnant d’une gigantesque manipulation sémantique. Aucun «Je suis français». Aucun «Non à l’islamisme». Face au «terrorisme» inqualifié, n’ayant «rien à voir avec l’islam» dixit Hollande, «l’amour», répétaient-ils comme un mantra. «Faites l’amour, pas la guerre». Dynamisation réciproque d’un islamisme massacreur et d’un athéisme désespéré. Au moment de la grand-messe du défilé «unanime», un pirate informatique islamiste neutralisait les sites Internet de nombreuses collectivités et entreprises du Sud-Ouest, parmi lesquels celui de la ville de Tulle dont François Hollande fut maire sept années durant. Un quotidien populaire de Hambourg ayant publié des caricatures de Mahomet était victime d’une attaque à l’engin incendiaire. Et le jour précédent, des élèves musulmans avaient refusé, dans des dizaines de collèges et lycées, de respecter la minute de silence décrétée par le ministère en mémoire des victimes du carnage, sous le prétexte que «Charlie Hebdo» avait été puni comme il le fallait pour avoir caricaturé le «prophète».

Rien de cette catharsis nationale ne se fût déroulé ainsi sans le Niagara médiatique qui submergea le pays pendant cinq jours. Sujet unique sur toutes les chaînes de télévision. Suppléments interminables dans les journaux. Répétition ad libitum du «Je suis Charlie» à peine rectifié d’un «Je suis juif» ou «Je suis policier» par des rédactions fascinées par leur propre ivresse, devenues elles-mêmes sujet et objet, narcissiquement propulsées au rang de conscience et de Verbe. De quoi justifier un véritable conditionnement de masse qui véhiculait une série d’impensés. J’en compte au moins sept:

1. La liberté d’expression est portée par la gauche nihiliste, puisque les mêmes médias avaient peu de temps auparavant censuré et/ou bâillonné Éric Zemmour, comme Maurice G. Dantec voici une décennie, puis conchié le dernier ouvrage de Michel Houellebecq qui imagine une France présidée par un musulman. Être libre, c’est être dans le bon camp;

2. Surtout «padamalgame!»: l’islam, le vrai, religion «de paix et de tolérance», n’est pour rien dans les «dérives» des trois assassins, en témoigne le défilé des familles de victimes musulmanes sur les écrans. Et ceci nonobstant les «Allahou akbar» entendus dans les prisons lors des massacres ou les réactions de lycéens susmentionnés. À tout prix nier la réalité, fût-elle complexe;

3. Les élites républicaines et européennes, en convoquant et présidant les défilés, seraient aux premières loges du combat contre le terrorisme, s’affranchissant de leur responsabilité dans la submersion musulmane dont l’Europe est le théâtre depuis un demi-siècle désormais, provoquant l’émergence de fractures de type frontalier au sein des métropoles, tandis que s’effacent les frontières interétatiques;

4. L’union de la nation exclut les forces «identitaires», Front national compris malgré sa pesante normalisation, que le parti socialiste au pouvoir a refusé d’inviter au cortège parisien. Ce qui, au passage, a permis au parti des Le Pen de se poser en seul vrai opposant au «système». Les récupérations sont souvent à double tranchant;

5. François Hollande, président amorphe, dissimulateur, manipulateur, libertin, habité d’une haine tenace contre la pensée conservatrice de son père, littéralement haï par la population si l’on en croit tous les sondages, redevient lui-même père, protecteur, emblème de la nation après avoir réussi le tour de force de faire se déplacer le ban et l’arrière-ban des dirigeants européens, Angela Merkel en tête. Cette dernière au passage s’est ruée sur l’occasion: ne subit-elle pas les assauts de Pegida, mouvement anti-islamisation qui réunit chaque lundi vingt mille protestataires à Dresde;

6. «Paris est la capitale du monde» : ce fut le mantra concluant la cérémonie médiatico-politique, prononcé par le président et aboyé par Manuel Valls. Rayonnant orgueil français alors que le pays court de dégradation économique en dégradation économique. En 2004, l’Espagnol José Maria Aznar, conservateur il est vrai, n’avait obtenu «que» des messages de condoléances après que les attentats islamistes de Madrid eurent tout de même fait cent quatre-vingt-onze morts. Onze fois plus qu’à Paris;

7. En sursaturant l’espace médiatique, l’appareil journalistique dont les fonctions d’encadrement sont la chasse gardée des loges, confirme sa vocation de sidération et d’endoctrinement. Ses journaux télévisés interminables à mono-sujet ont interdit toute mise à distance par une hiérarchisation des faits, fermant le message informationnel à tout autre événement survenu dans le pays ou à l’étranger. La «séquence» a renvoyé à la quinzaine de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle de 2002, quand tout débat et tout message dissident furent interdits par la caste médiatique au prétexte d’une mobilisation contre la «bête immonde», pathétique revival de la libération de Paris en août 1944, elle-même parfaite mise en scène accordée par les Américains à de Gaulle. Le chœur des pleureuses journalistiques s’apitoyant sur le sort funeste des journalistes de Charlie Hebdo masquait mal le lâchage généralisé dont ce journal fut victime de la part des mêmes quand il publiait ses caricatures du prophète des musulmans. Au point que l’un de ses collaborateurs survivants, Willem, confia même qu’il «vomissait» ce vaste cirque.

On peut déduire de ces tragédies parisiennes que l’islamisme est et demeurera un élément critique des sociétés européennes. Mais on le savait depuis belle lurette. On peut déduire de la mobilisation géante qu’il existe un peuple assoiffé de paix et de concorde qui suspecte désormais les intentions des fidèles mahométans. On déduit aussi que, munie de son nouveau brevet d’antiterrorisme, assurée d’un unanimisme supérieurement construit, brevetée d’un laïcisme garantissant son honorabilité à l’islam «modéré», la république maçonnique pourra poursuivre son œuvre de strangulation du catholicisme fondateur de la Nation en délivrant à tours de bras des baux emphytéotiques aux projets de mosquées et en détruisant des églises supposément fissurées. Il n’est pas de politique plus efficace que de diviser pour régner. Les frères Kouachi et Coulibaly, dans leur terreur d’abrutis, avaient failli mettre à mal le règne du relativisme agnostique. Le rétablissement a été ric-rac quoique magistral. Tout le monde sait néanmoins que d’autres trépignent déjà pour prendre le relais et «se faire du policier», «cramer du feuj» ou «buter de la face de craie». M. Hollande peut demander à ses officines de préparer d’autres manifestations.

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