L’Assemblée nationale et l’avenir du Québec

Mise en ligne de La rédaction, le 11 juin 2015.

par Gary Caldwell

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 47 / MAI-JUILLET 2015 ]

L'Assemblée nationale

L’Assemblée nationale du Québec (ANQ) est potentiellement, en ce XXIe siècle, la plus importante assise institutionnelle de la société québécoise. Pour diverses raisons – l’attrait de la pensée républicaine, la relation trouble avec Ottawa, l’érosion de la conscience historique –, elle a perdu beaucoup de son prestige et de sa crédibilité depuis la Révolution tranquille. Pourtant, le fait qu’elle soit partie intégrante de l’histoire du Québec depuis 1792, et qu’elle soit un Parlement de type Westminster, c’est-à-dire un mode de représentation des citoyens fondé sur le principe d’un député par unité territoriale, font d’elle, peut-être, et à certaines conditions, le socle de l’avenir du Québec.

Bien sûr, il y a actuellement des obstacles à son fonctionnement « optimal », notamment son lien à un État confédératif (et non fédératif), la pratique de la ligne de parti et la faiblesse de la société civile. Nous parlerons plus loin de ces trois obstacles. Le rôle institutionnel de l’ANQ est d’autant plus important que les autres institutions qui guidaient jadis la nation n’assument plus leurs vocations. Ces institutions, l’Église du Québec, l’État du Québec et l’Université, ne sont plus à la hauteur de leur rôle de phare et de conscience de la nation. Nous reviendrons sur la déchéance de ces trois institutions. Il suffit ici, en guise d’ouverture, d’insister sur l’essentiel : l’ANQ, par son existence, sa pérennité (presque un quart de millénaire) et son potentiel démocratique représente maintenant, par défaut, l’institution sur laquelle nous pourrons peut-être compter dans un proche avenir; à la condition toutefois que la société civile se redresse, soutenue par une éthique publique. Parlons d’abord de la création de l’ANQ et de sa filiation historique.

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L’ANQ a vu le jour en 1792 avec l’application de l’Acte constitutionnel de 1791. Elle a été rendue possible par l’Acte de Québec de 1774 qui protégeait la langue française et la religion catholique, établissait «la coutume de Paris», pour ce qui est de la loi civile, ainsi qu’un conseil législatif où pouvaient siéger des francophones et des catholiques. Le territoire a été nommé «Le Canada» dans la proclamation royale de 1763, suite à la capitulation de 1759. L’Acte constitutionnel de 1791 a fondé le Québec actuel (le Bas-Canada) et lui a adjugé une chambre législative où des catholiques, comme sujets à part entière – les «nouveaux sujets» – pouvaient siéger. Donc, avec l’application de cet Acte le 26 décembre 1792, l’ANQ, un Parlement dans la tradition de Westminster (issu des événements de la Glorieuse Révolution de 1688-89) a pris naissance. Les historiens de l’ANQ considèrent qu’elle a existé entre 1840 et 1867 à l’intérieur de l’Union; l’Union étant une fusion des deux législatures plutôt qu’une nouvelle création.

Deux commentaires importants sur la séquence d’événements allant de 1759 à 1792 sont à faire ici. Le premier: les droits accordés aux « nouveaux sujets », en ce qui a trait à la religion catholique, étaient refusés aux «anciens sujets». Ce régime exceptionnel était le fruit des conditions de la capitulation (1759) et de la proclamation royale (1763), dont a été responsable dans les deux cas, en grande partie, le général James Murray, né en Écosse. De plus, la jouissance de l’usage du français, le régime seigneurial et, en matière civile, la coutume de Paris, furent reconnus au Québec. Ces concessions à une population conquise ont été férocement contestées en Angleterre, surtout par la classe commerciale montante et par les héritiers puristes (les «whigs») de la Glorieuse Révolution. Cela explique l’opposition d’Edmund Burke, membre du Parlement, à l’Acte de Québec.

Le deuxième commentaire concerne l’interprétation des motifs géopolitiques liés à l’adoption de l’Acte de Québec. L’interprétation consacrée dans l’historiographie québécoise (et canadienne) est que l’Acte de Québec fut pour l’Angleterre une façon de s’attirer la sympathie des «Canadiens» afin de les éloigner des prétentions américaines. Il se peut que l’Acte ait eu cet effet, mais nous savons maintenant que c’est un mythe grâce aux travaux récents de Philip Lawson. L’Acte a surtout été le résultat des activités « lobbyistes » de Guy Carleton en Angleterre, de 1771 à 1774, et de sympathies conservatrices comme celle de Lord Mansfield, (un autre Écossais, Chief Justice au Banc du roi). L’un et l’autre étaient très sensibles au désastre de la politique anglaise en Irlande, en plus d’être des admirateurs de la société canadienne-française.

Ici il faut dire quelques mots sur certains événements du XVIIe siècle au Royaume-Uni. L’Irlande a été envahie de nouveau après la Glorieuse Révolution de 1688-89, pour renforcer l’hégémonie protestante (The Battle of the Boyne, 1690). L’Angleterre avait établi une «protestant ascendancy» en Irlande au début du XVIIe siècle, et les comtés du Nord, l’Ulster, avaient connu une immigration écossaise pour fournir de la main-d’œuvre aux grands fiefs aristocratiques après 1612… l’époque de la «plantation». C’était la naissance de l’Irlande du Nord, écossaise et protestante.

Dorchester est né à Strabane, County Tyrone, dans l’Ulster de l’époque, mais, comme Murray d’ailleurs, il a vécu l’impérialisme anglais du côté des conquis. De plus, Dorchester et Murray étaient tous deux présents à Québec avec Wolfe en 1759. Ils n’ignoraient pas l’échec de la politique anglaise en Irlande ni, plus près d’eux, ce qui s’était passé à Culloden en 1748, où la défaite des insurgés écossais avait été écrasante, ni le traitement honteux que les Anglais avaient fait subir aux vaincus. Autrement dit, ils connaissaient le sort des Irlandais et des Écossais confrontés à l’impérialisme anglais.
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