Rouspétons en Église

Mise en ligne de La rédaction, le 20 janvier 2011.

par Patrick Dionne

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 30 / HIVER 2010-2011 ]

(…) Mais la rouspétance au sein de l’Église catholique bat tous les records d’intensité, de longévité et de bêtise. Voilà deux mille ans que l’Église affronte des rouspéteurs de toutes tailles et de toutes carrures. Le plus fameux fut Martin Luther. Ce savant tyrannisé par son moi n’était pas sans courage. Il est allé au bout de l’hérésie, jusqu’à fonder sa propre église, sans se soucier de son image, de sa pension ou de ses entrées au Devoir.

À présent il y a Hans Küng, qui n’est pas aussi brave. Il n’a pas encore bâti son église, et on devine pourquoi. À la seconde où il cesserait de rouspéter, le néant de sa doctrine éclaterait et l’homme tomberait en décomposition. Küng, la superstar de la psychose antiromaine interne, ne supporterait pas d’être ravalé au rang des ex-rouspéteurs, des renégats ordinaires. Sa grande ambition, c’est de refonder l’Église – et son corollaire, le monde – à son image et à sa ressemblance. On chercherait en vain une autre idée dans les volumes obèses qu’il confectionne depuis quarante ans. « Au totalitarisme de l’Église en particulier, déclare Küng, il faut opposer la liberté de conscience, la liberté du chrétien. » Je l’ai déjà écrit, le vrai nom de cette vieille catin excentrique qu’on appelle la liberté de conscience, c’est l’épanouissement personnel. Cette métaphysique-là n’a jamais déplacé des montagnes. Pourtant Küng y trouve son compte. Saint Paul, qui était presque aussi bon théologien que ce « géant de la pensée chrétienne » (les éditeurs de Mon combat pour la liberté ne craignent pas les euphémismes), n’était pas du même avis : « Ma conscience, il est vrai, ne me reproche rien, mais je n’en suis pas justifié pour autant ; mon juge, c’est le Seigneur. » (1 Co 4, 4). La conscience de l’homme peut l’élever ou le perdre, comme tout ce qui est inscrit dans sa nature : le désir, l’amour, la liberté. Mais, à la fin, sur la Balance, tout sera entre les mains de Dieu. La mission de l’Église n’est pas de juger les âmes. Elle ne le peut pas. C’est de les aider à gagner le Royaume. Hans Küng, lui, connaît le chemin. Il vend même des cartes détaillées. Mais ceux qui les ont consultées se sont retrouvés dans des précipices, des hangars, des marais et des stationnements. Enfin, si l’Église était une organisation totalitaire, comme le prétend ce colporteur, l’aurait-elle laissé brailler sur toutes les tribunes, en quatre ou cinq langues, pendant quarante ans ? Staline n’avait pas l’indulgence de Benoît XVI.

Mon combat pour la liberté se termine par cette poignante élégie : « […] le destin de professeur me suffit amplement ». On n’imagine pas de destin plus chevaleresque. Küng n’a pourtant rien à craindre : il n’a jamais été que professeur. Avec le temps, il est même devenu chef d’école. Au Québec, des classes entières de rouspéteurs küngniens se sont formées, de Gatineau à Trois-Rivières. Il y a, là-dedans, de tout et de rien : le Réseau des Forums André-Naud, le Centre justice et foi, la revue Relations, le Réseau Culture et Foi, les éditions Novalis et son Prions en Église, la Faculté de sciences des religions (et accessoirement de théologie) de l’Université de Montréal, sans oublier l’abbé Raymond Gravel, la mascotte – à moins que ce ne soit la marionnette – de la bande.

Cette influente coterie (quoi qu’elle en dise) réunit des théologiens, des sociologues, des enseignants, des évêques, des curés, des agentes de pastorale, des éditeurs, des activistes et des gazetiers qui promènent leurs inepties partout, avec une préférence pour les médias, les amphithéâtres et les églises.

(…)

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