Le siècle, les hommes, les idées. Le virage hollandais du Canada (texte intégral)
Mise en ligne de La rédaction, le 19 décembre 2015.
par Luc Gagnon
[ EXTRAITS DU NUMÉRO 49/NOVEMBRE 2015-JANVIER 2016 ]
La victoire décisive du Parti libéral aux élections législatives fédérales du 19 octobre 2015 replace le Canada dans son cadre politique normal, le centrisme libéral, ou «l’extrême centre», selon le mot de Pierre Elliott Trudeau, dont l’ombre enténèbre le nouveau Canada de son fils. Justin n’a rien inventé, il porte un nom connu et une belle chevelure. Il reportera simplement le pays à son identité, une des sociétés les plus libérales de l’Occident, située aux portes du géant protecteur américain, ce qui lui permet de pratiquer un angélisme politique tout en restant fonctionnel et prospère.
Stephen Harper en presque dix ans de pouvoir (2006-2015) n’a fait que retarder le virage libéral du Canada, qui a été inscrit dans ses gènes à la fin des années 1960. Pierre Trudeau, le vrai Père du Canada moderne, avait d’ailleurs injecté le cancer libéral dans son ADN en greffant une métastatique Charte des droits et libertés à l’AANB en 1982, charte qui continue de ronger toutes les institutions et les valeurs traditionnelles de l’Occident chrétien qui survivent de peine et de misère au Canada. Les premiers ministres Jean Chrétien et Paul Martin ont poursuivi le travail de destruction sociale par l’adoption de l’emblématique mariage homosexuel en s’appuyant sur la Charte et «le droit pour tous», synonyme de la nouvelle génération des droits de l’homme. Svend Robinson, ancien député néo-démocrate, militant homosexuel et membre du comité parlementaire qui a élaboré la Charte de 1982, a d’ailleurs avoué dans les années 2000 que ses artisans l’avaient formulée de telle façon qu’elle puisse servir par la suite de caution morale et juridique au «mariage homosexuel», dont on ne parlait pas publiquement au début des années 1980. Pierre Elliott Trudeau avait pavé la voie au libéralisme moral en légalisant l’homosexualité, l’avortement et le divorce par le bill omnibus, conçu par lui-même en tant que ministre de la Justice du Canada et adopté par son gouvernement en 1969.
Stephen Harper a profité de l’élection d’un gouvernement minoritaire conservateur en 2006 pour présenter une motion perdante qui aurait restauré le mariage traditionnel. Il n’a plus jamais parlé de cette question lors de ses mandats suivants, ce qui révèle la profondeur de ses convictions et de ses «valeurs» conservatrices, tant exaltées à Ottawa devant une foule de naïfs chrétiens pro-vie alors qu’il était chef de l’Opposition officielle. Le replet fils de comptable torontois, et Albertain d’adoption, a continué à gouverner en ne cessant de répéter la même ritournelle alors qu’il arborait sa chemise à carreaux et tenait à la main son café Tim Hortons: «Balance the budget». Les Canadiens, et particulièrement les Québécois, lui ont répondu avec force: «The economy is not enough, stupid». Il fut un bon gestionnaire, particulièrement durant la crise économique de 2008, mais on demande plus à un homme d’État.
On ne peut diriger un pays en se limitant à équilibrer des budgets. En plus de ne rien faire face aux nombreux problèmes fondamentaux qui affectaient la structure même du Canada, Harper a stérilisé le gouvernement et tout ce qu’il a touché. Il a ainsi irrationnellement bloqué, avec tous les moyens dont il disposait, toute forme de débat au sujet de l’avortement sans restriction, autre héritage du gouvernement et de la Charte de Pierre Trudeau. Il a châtié les députés pro-vie les plus actifs et les a relégués à l’arrière-ban. Il a nommé pratiquement tous les juges de la Cour suprême du Canada qui ont récemment condamné à l’unanimité la prière publique au conseil municipal de Saguenay et les lois du Canada interdisant le suicide médicalement assisté et l’euthanasie. La dernière nomination québécoise à la Cour suprême, faite en catimini sans aucune consultation dans le pur style harpérien, d’une avocate d’affaires montréalaise sans aucune expérience dans la magistrature et très libérale politiquement et moralement, marquera le droit canadien pour les vingt prochaines années: voilà un des éléments de l’héritage de Harper! Les nominations de Harper au Québec sont toutes de la même farine, quand on pense qu’il a offert un poste de sénateur à Julie Snyder, gaucho-séparatiste hystérique, avant que Pierre Karl ne fasse son «coming out» péquiste. Harper n’avait pas la moindre idée de ce qui se passait au Québec dans sa tour d’ivoire du PMO, où aucun Canadien français influent n’est passé en dix ans, alors que tous les Québécois minimalement informés connaissaient bien l’allégeance séparatiste des Péladeau. Quand on ignore tout de la société fondatrice du Canada, qui représente encore un quart de la population, on n’est pas digne de diriger ce pays. Il vaut mieux écrire tranquillement à Calgary des livres ennuyeux sur l’histoire du hochey.
Contrairement à Brian Mulroney, qui avait voulu réconcilier le Canada et réintégrer le Québec dans l’ordre constitutionnel par l’ambitieux et généreux «beau risque», pour réparer la bavure trudeauiste de 1982, Stephen Harper a refusé d’ouvrir durant son long mandat toute discussion constitutionnelle malgré des premiers ministres québécois coopératifs comme Jean Charest et Philippe Couillard: les Canadiens et les Québécois, d’après Séraphin Harper, ne voulaient entendre parler que de billets de banque. Cela a mené à l’aporie du Sénat qui devait être réformé et que le premier ministre conservateur voulait réformer, mais qui ne pouvait l’être que par un changement constitutionnel avec la collaboration des provinces. Or, Stephen Harper avait décrété qu’il ne voulait pas discuter avec les représentants provinciaux, surtout pas de questions constitutionnelles, et qu’il menaçait tout simplement d’abolir le Sénat motu proprio. Il a nommé au Sénat, pour se rendre plus populaire au Québec, une bande d’incompétents dont Jacques Demers, Patrick Brazeau et la sénatrice putative Julie Snyder, avant que l’institution ne se disloque dans des scandales et qu’il la boude en arrêtant tout processus de nomination et en se félicitant de la baisse par attrition de quelques milliers de dollars du budget du Sénat: économie de bouts de chandelle risible. Évidemment, le prudentissime Harper n’a jamais évoqué durant son mandat gouvernemental, même par la plus subtile allusion, la nocivité de la Charte trudeauiste de 1982 et la nécessité de la réformer (ou de l’abolir). Le mot d’ordre des conservateurs devrait pourtant être: «Delenda est Carta» (Il faut détruire la Charte) !
Devant un Parti conservateur qui n’a pas su quoi faire en dix ans de pouvoir et qui a fini dans une sorte d’autisme ossifié, l’habile et télégénique comédien Justin Trudeau a bien navigué entre un Bloc québécois condamné à couler par l’inanité de sa «mission» et un NPD dont la base québécoise n’était qu’un château de cartes qui s’est effondré sous le poids d’un simple niqab au cours d’une longue campagne de soixante-dix-huit jours. Harper a réussi à faire tomber son adversaire néo-démocrate en s’accrochant au niqab dans un soudain mouvement nationaliste anti-islamique, mais il avait oublié Justin en embuscade, toujours prêt à récolter à nouveau le vote ethnique, qui appartient en propre au Parti libéral.
Justin Ier, en fils de riche et de puissant, sûr de lui-même, porté par une solide majorité parlementaire, une forte équipe de conseillers et la tradition libérale, n’hésitera pas à enclencher les réformes, à renverser en quelques mois dix ans de timide résistance conservatrice et à cadenasser le peuple canadien dans une trappe législative libérale, un autre type de piège à homards. Il légalisera rapidement le cannabis, le suicide assisté, l’euthanasie; il ouvrira les portes à des centaines de milliers d’immigrants, surtout musulmans, sans aucune précaution; il renforcera les règles multiculturalistes en assurant la légalité du port du niqab et de la burqa en toutes circonstances et en châtiant durement les citoyens occidentaux et chrétiens qui voudraient résister à son totalitarisme souriant; il pourvoira tous les sièges sénatoriaux laissés vacants par l’inerte Harper, ce qui donnera immédiatement une majorité libérale au Sénat (quelle aubaine!).
Le Canada deviendra la Hollande de l’Amérique du Nord, l’État le plus libéral du continent au plan législatif. Les déficits budgétaires prévus du gouvernement libéral pourraient peut-être lui nuire, comme en France où le président François Hollande doit péniblement naviguer dans un climat de haute tension économique et ethnique. La réforme électorale promise par Justin Trudeau pour les élections générales de 2019, qui inclurait des éléments de proportionnalité, pourrait favoriser l’émergence de forces politiques extrémistes face au blocage libéral de la société canadienne. Dans un tel terreau multiculturaliste à forte prévalence islamique est né en 2006, au sein de la généreuse Hollande, un des partis d’extrême droite les plus populaires d’Europe, le PVV (Parti pour la liberté) de Geert Wilders. Le Canada n’est pas immunisé contre un tel retour parodique, impossible sous Harper qui avait paralysé toute velléité de droite radicale, comme le démontre le pitoyable résultat du Christian Heritage Party, qui a obtenu 0,1 % (!) aux dernières élections fédérales.
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