Égards

Léon Chestov Qu’est-ce que le bolchevisme? suivi de Les oiseaux de feu et de Les menaces des barbares d’aujourd’hui, avant-propos de Ramona Fotiade, postface de Jean-Louis Panné, Paris, Le Bruit du temps, 2015

par André Désilets

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 50/MARS-MAI 2016 ]

Léon Chestov

Aussi saugrenu que cela puisse paraître aujourd’hui, les idéologues de la Révolution de 1917 en Russie ne pouvaient comprendre qu’un homme comme Léon Chestov (de son vrai nom Lev Isaakovitch Schwarzmann, 1866-1938), très habile dans la discussion, auteur d’une thèse sur la législation ouvrière jugée incendiaire par les autorités tsaristes, révolutionnaire en philosophie, refuse de passer dans le camp des Rouges, ces «oiseaux de feu» qui croyaient dur comme fer que les prescriptions de l’entreprise conceptualiste permettaient de saisir l’essence des choses et d’atteindre ainsi le principe d’où tous les êtres tirent leur être.

Au fond, les bolcheviks agissaient comme si les écrits déjà publiés de Léon Chestov – celui-ci étant beaucoup lu à cette époque par la jeunesse – n’existaient pas. À ce sujet, Chestov confiera plus tard à Benjamin Fondane que des chefs révolutionnaires en 1919 voulaient le convertir. La magie du verbe chez eux, raconte-t-il, supplante les conditions réelles de la vie. Les promesses, les prétentions, les décrets, les commissions extraordinaires se multipliaient à un rythme effarant, un rythme complètement asservi au pouvoir centralisé de l’État. Et gare aux récalcitrants. «Un traité est un chiffon de papier», répétait-on en citant le chancelier allemand Theobald von Bethmann Hollweg (1856-1921). «En d’autres termes, précise notre philosophe, la loi et la morale sont une invention des imbéciles, et toutes les questions sont résolues par la force». Le peuple lui-même en est convaincu. Et la tâche ne se limite pas à la Russie, selon nos rêveurs en furie.
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