Notes de lecture. Serge Boulgakov, Judas Iscarioth, l’apôtre félon
Mise en ligne de La rédaction, le 4 avril 2016.
Serge Boulgakov, Judas Iscarioth, l’apôtre félon, traduit du russe par Michel Niqueux, Genève, Éditions des Syrtes, 2015
par Nicolas Mulot
[ EXTRAITS DU NUMÉRO 50/MARS-MAI 2016 ]
Les Éditions des Syrtes viennent de publier un essai inédit en France du Père Serge Boulgakov. Ce texte est paru initialement en 1931 dans la revue Put’, organe de la pensée religieuse russe. Boulgakov y développe une réflexion à la fois historique et théologique sur la plus grande trahison de l’histoire. Dans l’imaginaire collectif, Judas représente le type même du traître, celui qui «s’est revêtu de la malédiction comme d’un vêtement» (Ps 109). Pourtant cette image traditionnelle n’a cessé d’être remise en question depuis le XVIIIe siècle. Nombre d’auteurs ont cherché à percer le mystère du personnage et même, par goût de la subversion, à le réhabiliter. C’est ce mystère que scrute Boulgakov dans son essai. Mystère de l’iniquité, mais aussi de la coexistence en une âme de la lumière et des ténèbres. Le nom Judas peut être traduit par «louange à Dieu». Mais dans son usage courant il est devenu le symbole de l’infamie et de la traîtrise.
L’énigme que posent la destinée de Judas et sa défection constitue ce que Boulgakov appelle une crux theologiae. Pour le théologien russe, l’apôtre traître incarne «le problème de la tragédie de la personne humaine en général» (p. 122). Cette tragédie se présente sous deux aspects, l’un politique, l’autre métaphysique. Judas voyait en Jésus le messie-roi qui devait libérer Israël du joug romain et restaurer sa puissance terrestre. La prophétie du Serviteur souffrant, que le Christ devait accomplir, il ne pouvait l’accepter. Son messianisme était politique et triomphaliste. Comme le remarque Boulgakov, la conception du monde de Judas est «la porte par laquelle Satan est entré dans son âme» (p. 56). Dans l’Évangile de saint Luc, il est dit que «Satan entra dans Judas» (Lc 22, 3). Une affirmation similaire se trouve en Jn 13, 2. Boulgakov analyse avec objectivité ces versets, édulcorés dans l’exégèse contemporaine. Pour lui, Judas est devenu un instrument de Satan car «il a perdu la capacité de distinguer sa propre pensée des insinuations démoniaques». Il conclut: «Il est lui-même Satan!» (p. 56). Mais Boulgakov ne parvient pas toujours à concilier cette affirmation redoutable avec son hypothèse de départ, à savoir que Judas aurait trahi le Christ par amour, un amour enténébré certes, obscurci par l’idéologie, mais indéfectible.
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