In memoriam–Benoît Lacroix (1915-2016) L’homme de l’émerveillement – Sur Rumeurs à l’aube de Benoît Lacroix (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 4 avril 2016.

par Nicole Gagnon

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 50/MARS-MAI 2016 ]

Rumeurs à l’aube

(Nous proposons aux lecteurs d’Égards cette élégante note de lecture de Nicole Gagnon concernant le dernier ouvrage de Benoît Lacroix, rédigée peu de temps avant son décès. NDLR)

Le titre genre passe-partout abrite ce qui se reçoit comme une «épître à mes amis». Ils sont encore fort nombreux, bien que ceux de sa génération n’y soient plus car Benoît Lacroix est centenaire. L’ouvrage a été mis en forme par deux aînés de ceux qui restent, Simone et Pierrot Lambert, autour d’un florilège de coups d’œil sur la bonté du monde et de divers «coups de cœur». À quoi les deux maîtres d’œuvre ont ajouté des entretiens à bâtons rompus et six «réflexions spirituelles» déjà publiées.

Sociologues ou historiens trouveront mal leur compte dans ce recueil, où il n’est guère question de l’œuvre savante du médiéviste. On n’a pas non plus les références des textes publiés et les informations biographiques éparses laissent sur son appétit. Qui fut Benoît Lacroix, ou aura été cette figure peut-être la plus attachante de notre héritage catholique? «Je serai toujours un enfant de la ferme» (p. 13), malgré que «tout petit, j’avais décidé que je ne serais jamais cultivateur» (p. 221). Et comment devient-on dominicain dans les années trente, époque d’essor de cette communauté? Par instinct, parce qu’il fallait quitter le nid, par imitation plutôt que par choix, à l’essai pour voir, parce qu’on s’y plaisait en fin de compte (p. 57-60). Et si on y persiste, peut-être est-ce parce qu’en deçà de ce conditionnement social, il y avait «la foi de ma mère» (p. 81-98), assise sûre pour affronter les turbulences de l’histoire. (Peut-être aussi La religion de mon père, Bellarmin, 1985, dont il n’est guère question ici et que je n’ai pas lu.) Quant à faire carrière de médiéviste plutôt que de liturgiste – de psychologue plutôt que de théologien (Noël Mailloux) ou d’économiste quand on rêve d’action sociale (Georges-Henri Lévesque) –, c’est «par obéissance à l’intérêt global» (p. 68) des Dominicains, qui avaient alors entrepris de s’implanter dans les universités et de s’y tailler des fiefs.

Bien avant la sérénité du grand âge, Benoît Lacroix a vécu d’amour, d’émerveillement, de confiance en la vie. Amour des savants (p. 37), des poètes, des correcteurs de textes (p. 217), des vieux, des femmes «jusqu’à l’extrême audace» (p. 24) – «safety in number» (p. 68) –, etc. Et il était attirant. J’ai idée qu’il avait hérité de son père ce «don de la douceur» (p. 129) qui m’avait frappée et qui n’avait rien à voir avec la rebutante onction cléricale. Alors, on s’interroge: «Si le torrent chante à sa manière, dit-il, c’est à cause des pierres qui le contredisent» (p. 43). Sous la surface lumineuse et paisible du personnage, quelles furent donc ces pierres sans quoi on n’est que «paresseuse rivière»? On n’en saura rien. Tout juste reconnaît-il: «Oui, j’ai fait des erreurs. J’ai dévié. Je le sais» (p. 13). Peu importe, après tout. Benoît Lacroix ne tombe pas dans l’exhibitionnisme, il nous fait cadeau de son monde.

Ce monde du père Lacroix nous est offert dans la partie principale de l’ouvrage: mots d’amour, esquisse de personnes aimées, chant de la nature, souvenirs de joie parfaite, intuitions de l’instant devenues trésors de la mémoire… À recevoir et à goûter, pas tellement à commenter.

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