François Fillon : un conservatisme à la française ? (texte intégral)
Mise en ligne de La rédaction, le 27 mars 2017.
par Matthieu Lenoir
[ EXTRAITS DU NUMÉRO 53/FÉVRIER-AVRIL 2017]
Lors de la désignation, par élection «primaire» à deux tours, du candidat de la droite à l’élection présidentielle de ce printemps en France, François Fillon a incarné le malaise profond de l’électorat des démocraties occidentales. Premier ministre durant les cinq années de la présidence Sarkozy, cet héritier du gaullisme social reconverti dans la rigueur libérale a gagné haut la main et à la surprise générale. Il a devancé de trente-trois points le candidat pré-désigné par la médiacrature, Alain Juppé, donné gagnant par tous les sondages. Une surprise considérable que de voir celui qui n’était placé qu’en troisième ou quatrième position avant le premier tour par les enquêtes d’opinion, remporter la première manche par plus de 44% des voix et la seconde par 66,5%. Un coup de tonnerre survenu peu de temps après l’élection inattendue de Donald Trump aux États-Unis, après le choc du Brexit et juste avant l’échec humiliant du référendum constitutionnel italien engagé par Matteo Renzi. Sans parler des succès des droites identitaires en Pologne, en Hongrie, voire en Scandinavie et aux Pays-Bas. Un coup de tonnerre qui a entraîné trois mois plus tard une réaction extrêmement violente des officines du régime, mettant en cause sa probité par l’intermédiaire de journaux aux ordres sous couvert de liberté de critique. Et trahissant l’essence de la république: son totalitarisme.
L’ascension
Tous ces votes de l’élection primaire furent des démentis cinglants apportés par les suffrages universels aux pronostiqueurs du bloc idéologique globaliste. Certes la désignation de François Fillon, homme du système, quoiqu’elle eût été ratifiée massivement par un scrutin ayant réuni quatre millions de Français – un succès inattendu – ne peut être totalement assimilée aux autres gifles reçues par le «système» médiatico-marchand. Au demeurant, chacun de ces votes s’applique à des problématiques différentes. Mais si le fond des questions posées aux électorats est chaque fois spécifique, chaque fois la forme de la réponse aura été similaire: le refus indigné et angoissé des dérives totalitaires de la gouvernance globaliste, techniciste, mercantile, élitiste que subissent les peuples concernés. Ce refus est chaque fois étiqueté «populiste» par le caquètement des flics du grégarisme et de l’avachissement. Or le réquisitoire est à retourner. L’avachissement, l’amnésie et la déculturation sont désormais les reproches qu’adressent ces cohortes populaires à leurs propres élites. La morale ultime revient aux peuples car les peuples connaissent la réalité quotidienne du monde. La démocratie de masse, devenue oligarchie, a fait monter, depuis les parties les plus vulgaires des nations jusqu’au sommet des États, la cupidité et l’égocentrisme dans leur version pédante, pontifiante et arrogante. Voici que par un bienfaisant retour, c’est depuis les peuples supposés bornés que monte la voix qui dénonce la honte d’être affublés de dirigeants hallucinés et lâches, prêts à saboter les siècles de traditions et de pratiques communes sur l’autel de leurs utopies de disruptions, de térabits, d’apostasie et de produits dérivés.
Un vote ne répond jamais précisément à la question, car en cette moderne démocratie de délégation comme en démocratie référendaire, la masse est telle que l’opinion ne peut s’y exprimer avec la subtilité et la complexité qu’exige toute pensée humaine. Le vote dans ce cadre est par essence polysémique. Comment pourrait-il en être autrement, quand un seul signe est censé répondre à une multitude de questions, sur lesquelles une haute compétence est généralement indispensable, et que la réponse est l’addition de millionièmes de souveraineté? Aporie du jacobinisme centralisateur. Au demeurant le vote surprise qui a porté François Fillon à la candidature de la droite française pourrait ainsi être suivi d’autres votes surprises, de flux et de reflux dont les aléas laissent finalement la main aux cercles occultes qui tiennent, quoi que les urnes décident, les décisions finales après de subtils arrangements de pouvoir.
L’électorat de droite a massivement voté Fillon pour maintes raisons. Manifester son adhésion à un programme d’adaptation économique volontariste, de responsabilisation et de réduction de la sphère publique. Gifler le régime socialiste et ses réflexes de secte. Protester contre le fiscalisme. Dire son refus du relativisme culturel et religieux porté, après Hollande, par Alain Juppé face à l’islam. Et bien sûr démentir l’humiliant pédagogisme de la médiacratie. Mais Fillon, qui doit répondre à une forte demande de protection sociale dans un pays en voie de paupérisation, maintient son allégeance à l’Europe libre-échangiste, n’a guère les moyens de réformer l’appareil médiatique, et devra affronter huit cent mille enseignants massivement déculturés. Tout cela n’offre guère de perspective stable. La doctrine qui devrait nourrit la conscience populaire a disparu dans les sables du relativisme matérialiste et du syncrétisme électoral.
La lutte
«Bienvenue dans l’insondable et dans les entrailles d’un pays à cran qui cherche des solutions à ses difficultés», a lancé Fillon qui veut «des racines pour gagner le futur». L’homme n’a rien d’exceptionnel. Tout au plus a-t-il depuis longtemps osé dénoncer l’état financier catastrophique du pays et, plus récemment, nommer «l’islam politique», douter à titre purement personnel des bienfaits de l’avortement prescrit et remboursé, et se déclarer publiquement «gaulliste et chrétien». Ce dernier substantif a d’ailleurs fait hurler les laïcistes jusque dans son propre camp. Quelques jours après, début janvier, un opportun sondage indiquait une forte chute de sa popularité. Manuel Valls, premier ministre d’Hollande et pré-candidat de la gauche, monté par les échelles de la franc-maçonnerie la plus luciférienne – première affiliation du jeune homme: la loge «Ni maître, ni dieu» – s’est cru obligé de dénoncer «François Fillon qui porte un projet comme jamais la droite française n’en avait porté: un projet dur, thatchérien, une véritable purge pour notre pays» et «qu’en outre, pour la première fois, un homme politique définit son projet comme catholique». Horreur et mensonge: Fillon en se qualifiant lui-même de chrétien n’évoquait en aucun cas son projet. Valls n’a jamais relevé que son concurrent socialiste, Vincent Peillon, ancien ministre de l’Éducation nationale du même Hollande, professeur de philosophie à Neuchâtel, avait lancé en 2014 à ses étudiants que «le catholicisme est incompatible avec la démocratie, contrairement à l’islam». Mieux, Peillon a récemment assimilé le sort des musulmans en France de nos jours à celui des Juifs sous le régime du maréchal Pétain, sans s’attirer les moindres foudres d’une gauche aux confins de la démence. Quant à Emmanuel Macron, jeune candidat du centre-gauche globaliste et financier, ex-ministre de l’Économie du régime agonisant, il avait lancé, à rebours de la volonté de Fillon de contrôler l’immigration, qu’Angela Merkel avait «sauvé notre dignité collective en accueillant des réfugiés en détresse, en évitant les amalgames». Cerise sur le gâteau, le milliardaire homosexualiste Pierre Bergé a comparé le vote filloniste à celui de la «France pétainiste». Fillon expliquait dès 2012 que «dans ce monde médiatique, vous êtes athée ou intégriste»…
Le tir de barrage de la gauche et de son violent laïcisme s’explique : Fillon, héritier de Philippe Séguin, gaulliste social eurosceptique et opposé au traité de Maastricht, tente de proposer des réponses à l’état de délitement financier mais aussi identitaire de la France.
Financier ? L’endettement des comptes publics du pays est passé de 100 milliards d’euros en 1980 à 2200 milliards en 2016, soit une année de produit intérieur brut. Le pays emprunte chaque année 200 milliards d’euros: 70 servent à équilibrer son budget, 130 à acquitter les échéances des anciens emprunts, malgré des taux d’intérêts historiquement bas. L’industrie manufacturière ne représente plus que 11% de la valeur ajoutée contre 17% pour l’ensemble de la zone euro et quelque 18% au Canada (14,3% au Québec). Le chômage atteint 10% de la population active. Le fiscalisme de Hollande a fait augmenter la charge des contribuables de 3 % du PIB, «euthanasiant l’activité et le travail», selon le libéral Nicolas Baverez.
Délitement identitaire? Une éducation nationale en miettes, gangrenée par la non-directivité, l’amnésie historique, la repentance et le pédagogisme, régulièrement déclassée dans les évaluations internationales. Des références spirituelles chrétiennes systématiquement déconsidérées par la doxa médiatique, enseignante et politicienne, toutes tenues en laisse par une des franc-maçonneries les plus violemment matérialistes qui soient. Un islam rassemblant sous sa férule théocratique, insidieuse ou revendiquée, selon plusieurs sources non officielles, une dizaine de millions d’habitants, soit quelque 15% de la population au taux de natalité plus élevé que celui de la population de souche. Une violence civile croissante, qu’elle relève du droit commun, de la hausse de la pauvreté (à 14,3% de la population), de la criminelle marée de stupéfiants permise par l’abaissement des frontières, de l’islamisme terroriste ou de leur mélange. Une justice gangrenée par la culture de l’excuse, qui ne parvient pas à faire appliquer les peines de prison qu’elle prononce.
On saluera la volonté de François Fillon de limiter l’adoption plénière aux couples hétérosexuels, d’instaurer des quotas d’immigration ou d’interdire le retour aux Français ayant combattu «dans les rangs terroristes», de supprimer l’impôt sur la fortune, véritable système confiscatoire qui vide le pays de ses capitaux. Toutes mesures qui constitueraient une rupture heureuse avec la lâcheté socialiste. La philosophie des institutions de Fillon est empreinte d’une heureuse culture de la subsidiarité. Il prône ainsi le retour au moins partiel sur la scandaleuse fusion autoritaire des régions par Hollande, en rendant une liberté de décision aux collectivités territoriales. La position est intéressante et avait déjà été portée par Fillon, alors premier ministre, avec une réforme territoriale jamais appliquée car sabotée par Hollande: elle introduisait pour la première fois dans l’histoire de la république jacobine l’amorce d’un libre arbitre local dans l’évolution de la carte des territoires, et une progressive suppression de la rigidité rationaliste incarnée par le département. Sur ce sujet sa concurrente à droite, Marine Le Pen (Front national) campe sur une position de jacobinisme borné, que même la gauche archaïque n’ose plus prôner, promettant de supprimer les intercommunalités et les régions pour en revenir au triptyque républicain commune-département-État, véritable camisole de force des territoires et de leurs populations. Sur ce plan-ci comme sur tant d’autres, Fillon paraît plus en rupture avec la culture républicaine du mensonge que son histoire personnelle ne l’indique.
François Fillon ose nommer. Or la République est depuis ses origines le régime du voilement. La République hait ce réel qui la précède et qu’elle n’a pas créé. Elle nage au milieu de ses 400 000 lois et règlements, «consommant des lois comme un agonisant des remèdes». Certes Fillon reste un enfant de cette République une et indivisible. À 22 ans, ce fils d’une mère basque et d’un père vendéen, élève indiscipliné de collèges catholiques, devenait attaché parlementaire, début d’une carrière purement politique dont il ne sortira pas. Là est probablement la faiblesse du candidat. S’il dit incarner «la libération de l’économie, la restauration de l’autorité de l’État, l’affirmation de nos valeurs», il n’est pas sûr qu’il puisse contenir à lui seul l’exaspération d’une société qui n’en est plus vraiment une. Et surtout la réaction d’un régime dont la fureur est subitement montée à son comble.
L’impossible conservatisme?
Cette réaction, dès janvier, aura été d’une violence inouïe. Fillon a été accusé d’emplois fictifs – contre toute évidence – au bénéfice de son épouse voici plus de vingt ans par le Canard Enchaîné, organe anarcho-fonctionnaire, et par Médiapart, site trotskiste qui avait pourri la vie de Nicolas Sarkozy durant des années en soutenant avec d’autres qu’il avait recueilli des fonds en liquide dans une enveloppe de la part de la milliardaire Liliane Bettencourt pendant sa campagne électorale. L’intéressé fut blanchi mais cette déstabilisation lui coûta la suite de sa carrière. Dans le cas Fillon, l’opération est encore plus indécente, montée par un complot mêlant les hiérarques socialistes aux liens maçonniques, les officines médiatiques, les magistrats syndiqués et en particulier le Parquet national financier étonnamment saisi sur-le-champ, créé par Hollande, composé de magistrats l’appuyant ouvertement, et directement sous ses ordres. Fillon a dénoncé «un coup d’État» et, de fait, c’en était un. Un coup d’État moderne destiné à propulser définitivement le candidat libertaro-bancaire post-socialiste Emmanuel Macron, ivre de multiculturalisme et de relativisme. Le conservatisme, fût-il prudent, l’enracinement, fût-il mâtiné de modernisme, terrorise l’oligarchie. Au-delà de la gauche nihiliste, c’est le régime dans son essence qui a voulu assassiner politiquement François Fillon et ses millions d’électeurs. C’est la république, fondée dans le sang et perpétuée par lui, qui continue de dévorer ceux qui pourraient encore perpétuer son peuple.
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