Maître Eckhart: une mystique de l’âme
Mise en ligne de La rédaction, le 20 juillet 2011.
par Louis Roy, o.p.
[ EXTRAITS DU NUMÉRO 32 / ÉTÉ 2011 ]
Eckhart naquit en Thuringe, Allemagne, en 1260 et mourut probablement à Avignon, en 1328. Il fut novice dominicain, puis prieur au couvent d’Erfurt, et plus tard provincial de Saxe, vicaire-général de Bohême, vicaire-général de Teutonie, et régent des études au Studium général des Dominicains à Cologne. Il exerça également deux autres fonctions à l’intérieur de l’Ordre dominicain : Lesemeister, ou « maître de lecture », c’est-à-dire qu’il occupa une chaire de théologie à Paris, ainsi que Lebemeister, ou « maître de vie », c’est-à-dire maître spirituel. À ce titre, il fut prédicateur, envoyé par l’Ordre dominicain pour instruire des moniales, surtout dominicaines, des béguines et bégards, et même des laïcs parfois hétérodoxes (les Frères et Soeurs du Libre Esprit, qui professaient l’identité de l’âme et de Dieu, s’estimaient pleinement divinisés, donc parfaits, par conséquent dispensés des sacrements et de la morale). Comme professeur et comme prêcheur auprès de ses frères dominicains, il utilisa le latin ; comme prédicateur auprès d’autres auditoires, il s’exprima en moyen haut-allemand..
Accusé d’hérésie à Cologne et convoqué à la cour papale d’Avignon, il se défendit théologiquement, tout en se soumettant à l’avance au jugement de l’Église, et il mourut avant que le verdict ne soit prononcé. La bulle In agro dominico (1329) condamna dix-sept de ses propositions comme « hérétiques » et en dénonça onze comme « suspectes d’hérésie » (voir le texte complet dans Maître Eckhart, Traités et Sermons, traduction d’Alain de Libera, 3e édition, Paris, GF-Flammarion, 1995, p. 407-415).
Cependant, à la demande d’un chapitre général des Dominicains, le pape Jean-Paul II a recommandé la lecture d’Eckhart : « Eckhart n’a-t-il pas assigné ceci à ses disciples : tout ce que Dieu demande de vous de façon pressante, c’est de sortir de vous-mêmes et de laisser Dieu être Dieu en vous ». Quelques années plus tard, une commission d’experts formée par l’Ordre dominicain fit remarquer que les articles avaient été censurés sans tenir compte du contexte historique, ce qui était d’ailleurs impossible lors du procès d’Avignon, étant donné qu’il n’y avait aucun manuscrit d’Eckhart dans cette ville. Finalement, en 1992, la Congrégation pour la doctrine de la foi écrivit au Maître de l’Ordre que Maître Eckhart n’avait pas besoin d’être réhabilité puisque ce n’était pas son œuvre véritable qui avait été condamnée.
Sa conception de la mystique
Son thème le plus important est sans doute la sérénité dans le délaissement (Gelâzenheit ; l’orthographe de ce mot et de ceux qui vont suivre est en haut-allemand médiéval), le détachement (Abegescheidenheit), la pauvreté spirituelle, la pureté, la nudité, le désert, le vide. Cette attitude mystique consiste en un « laisser-être », un « lâcher-prise », une entière réceptivité à Dieu qui se donne lui-même : « Autant tu sors de toute chose, autant tu sors vraiment de tout ce qui est tien, autant, ni plus ni moins, Dieu entre en toi avec tout ce qui est sien » (Entretiens spirituels, IV, dans Traités et Sermons).
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