Le dialogue interreligieux a-t-il toujours une âme ? (Première partie)

Mise en ligne de La rédaction, le 20 janvier 2011.

par Édouard Divry, O.P.

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 30 / HIVER 2010-2011 ]

Cet article est paru initialement dans Angelicum, n° 87, 2010. Nous remercions Angelicum de nous permettre de le reproduire. (NDLR)

« En toute nation, Dieu tient pour agréable quiconque Le craint et pratique la justice » (Ac 10, 35). Dans ce cas éminent, enseigné par la Révélation elle-même, le dialogue semble possible, voire même fructueux. Il sera facile, par le dialogue, de trouver des préambules à la foi (preambula fidei), de concert avec la loi naturelle reconnue par les hommes de bonne volonté appartenant à ladite nation, afin de tracer un chemin d’entente.

Mais la question s’est récemment posée avec acuité : peut-on dialoguer avec tout le monde, en particulier avec des apostats ? Du 4 au 6 novembre 2008 ont participé au Vatican à un dialogue islamo-chrétien, dans une délégation plus importante, six musulmans, des apostats issus du christianisme.

Encore que très prosélyte par nature, la tradition chrétienne a marqué des limites dans les rapports avec autrui. S’il faut aimer nos ennemis (Mt 5, 44), « être en paix avec tous autant qu’il est possible » (Rm 12, 18), reprendre « comme un frère » celui qui s’égare (2 Th 3, 15), le Nouveau Testament, surtout dans sa période où la pratique courante commence à se définir, pose des limites intrinsèques au contact avec autrui : « cessez de frayer avec lui », est-il dit à propos du même (2 Th 3, 14). Il n’invite jamais à la naïveté, mais à la nécessaire distance prudente (2 Tm 4, 15 ; Tt 3, 10-11). S’agit-il de précoces raidissements identitaires ? Dans ce cas, la Parole de Dieu, à laquelle nous avons adhéré d’emblée (Ac 10, 35), serait toujours bien fragile pour guider selon la vérité le cœur des chrétiens en tout temps et en tout lieu ! Avons-nous oublié ou relativisé ce passé structurant ?

Si l’homme du troisième millénaire venait à oublier, mais comme en rêve, que ses ancêtres catholiques ont affronté des cultures religieuses diverses où surabondaient des structures coriaces du péché, des patrimoines invincibles d’infidélité, des infestations diaboliques pérennes ( Justin, Apologie I, 5, 2), à cause desquels ceux-ci ont vécu les pires martyres, il pourrait, porté par l’espoir d’un progrès inéluctable de l’humanité et dans un esprit réconciliateur et optimiste avec les religions, songer que « Dieu se sert pour chacun de ce qui lui est habituel lorsqu’il l’achemine vers la vérité » (Origène, Fragment in Mt 27). Dans « l’habituel » ici désigné par Origène, n’y aurait-il pas place pour la religion des hommes pieux ?

Mais Origène, ce grand maître, fut particulièrement sévère dans son jugement vis-à-vis des religions païennes. En outre, depuis longtemps et récemment encore, Rome, d’où vient la lumière magistérielle universelle, a sonné l’alarme par rapport à la voie sans issue que constitue le mythe du progrès (Jean-Paul II, Centesimus annus, n° 18 ; Benoît XVI, Spe salvi, n° 17). Il n’y a de vrai progrès et de nouveauté définitive qu’en Jésus-Christ. « Il a apporté toute nouveauté en apportant sa propre personne » (Irénée, Adversus hæreses, IV, 34, 1). De surcroît, si Dieu peut se manifester dans nos habitudes, l’inverse semble beaucoup plus coutumier ainsi que l’affirme le proverbe latin : « quotidiana vilescunt (l’usage quotidien avilit) ». Dans l’avilissement de l’homme, le démon n’est pas loin.

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