Notes de lecture. Joshua Furnal, Catholic Theology after Kierkegaard (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 22 mars 2018.

Joshua Furnal, Catholic Theology after Kierkegaard, Oxford University Press, 2016.

par Louis Roy, o.p.

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 56/FÉVRIER-AVRIL 2018]

Après Kierkegaard

Après Kierkegaard

Joshua Furnal vient de consacrer une étude fouillée et rigoureuse au danois Søren Kierkegaard et à sa réception par bon nombre de catholiques, d’abord en Allemagne avec Romano Guardini, Erich Przywara et Erik Peterson, puis en France avec Jean Daniélou, Yves Congar, Jacques Maritain et Henri de Lubac, et finalement en Suisse avec Hans Urs von Balthasar. Parmi ces penseurs, de Lubac et von Balthasar sont ceux qui bénéficient d’un long traitement, à savoir un chapitre pour chacun. D’autres auteurs, par exemple en Italie et en Angleterre, tels Cornelio Fabro et John Henry Newman, sont brièvement mentionnés. Au cours de toutes ces comparaisons, Furnal se montre pénétrant et judicieux.

En commençant son enquête par Les Œuvres de l’amour, Furnal m’a immédiatement rejoint, car je pense que ce livre est le plus beau qu’ait écrit Kierkegaard. On y découvre que, contrairement à ce qui a été souvent dit, sa pensée sur l’amour n’était pas très luthérienne; en effet, alors que Luther concevait le salut comme devant être accueilli dans la seule foi (sola fide), Kierkegaard, sans mettre la foi de côté, insistait sur «le travail de l’amour». À cet égard, sa pensée était très proche de celle de Thomas d’Aquin, pour lequel la grâce, d’abord «opérante», où Dieu fait tout, doit devenir ensuite «coopérante», c’est-à-dire librement reçue, avec amour, par l’homme, et mise en pratique envers le prochain.

J’ai lu beaucoup de livres écrits par Kierkegaard, ce philosophe si profond, si libre, si original, à la fois admirable écrivain et puissant penseur, lui qui avait ordonné qu’on mît sur sa tombe la désignation «l’individu». Je fis même, en 1978, un pèlerinage à sa petite maison, devenue musée, à Copenhague. Plus tard, j’eus beaucoup de plaisir à enseigner, à l’université jésuite Boston College, son Ou bien… Ou bien, qui porte sur la difficulté de prendre une décision qui aura de fortes conséquences. J’eus moins de plaisir à enseigner son inquiétant ouvrage Crainte et Tremblement, car la foi d’Abraham, qui croyait que Dieu lui commandait d’immoler son fils Isaac, telle que – bien ou mal – comprise par notre auteur, me paraissait contredire tellement mon expérience personnelle et ma conception thomiste de la foi, que je me demandai, pendant plusieurs jours, en ressentant, à mon tour, « crainte et tremblement », si j’avais véritablement la foi! Un peu plus tard, je découvris et appréciai la réfutation, par Martin Buber, de la conception kierkegaardienne de la foi d’Abraham.

Plus récemment, j’ai écrit quelques pages, dans un manuscrit sur la Révélation présentement offert à un éditeur, sur la solution que Kierkegaard donna au problème soulevé par Lessing, à savoir l’impossibilité, selon ce dernier, de sauter par-dessus «le vilain et large fossé» («der garstige breite Graben») qui se présente entre la pensée rationaliste du XVIIIe siècle, très critique envers les doctrines chrétiennes, et le peu de savoir, fort incertain, qu’on avait (toujours au XVIIIe siècle – c’est encore ainsi d’ailleurs) à propos du Jésus de l’histoire tel que l’imaginent les historiens et les autorités religieuses. La solution géniale, quoique paradoxale et non dépourvue de déficiences quant au raisonnement déployé par le penseur danois, consiste, pour «l’individu» qui veut croire, à prendre conscience que, grâce à l’Incarnation, Dieu établit une contemporanéité entre lui-même et le croyant, quel que soit le peu de connaissances que ce croyant ait au sujet de Jésus. Il s’agit donc d’un contact immédiat entre Dieu et le croyant dont la temporalité est placée par grâce en relation intime avec l’Éternité.

À en juger par le grand nombre d’études faites depuis un siècle environ sur le grand écrivain et penseur danois, il semble bien qu’outre sa contemporanéité avec Dieu, Kierkegaard continue d’être notre contemporain, plus de cent cinquante ans après sa mort. Je suis donc d’accord avec la conclusion de Furnal, intitulée «Kierkegaard (Still) Matters».

Écrire un commentaire

You must be logged in to post a comment.