Le siècle, les hommes, les idées. Sensibilité populiste et conservatisme: Sur les élections générales au Québec (texte intégral)
Mise en ligne de La rédaction, le 11 décembre 2018.
par Richard Décarie
[ EXTRAITS DU NUMÉRO 58/NOVEMBRE 2018-JANVIER 2019]
Au lendemain de la victoire de la Coalition avenir Québec (CAQ), qui a remporté la majorité absolue avec 74 sièges sur 125, les sondages, une fois de plus, semblent avoir manqué le coche – prévoyant un gouvernement minoritaire caquiste ou libéral – et leur diffusion dans les médias pourrait avoir confondu un électorat de surcroît volatil.
Peu de gens le savent, mais lorsque l’on travaille pour un parti politique à «faire sortir le vote», l’on obtient rapidement, à la lumière des milliers d’appels téléphoniques effectués dans une seule et même circonscription électorale, le pouls de l’humeur des électeurs. Cela permet de jauger l’impact immédiat d’une contre-performance d’un chef, d’une couverture de presse hostile ou d’un sondage défavorable au parti que nous servons. Force est alors de constater que l’immédiateté grandissante de l’accès à l’information – réseaux sociaux diffusant en temps réel, médias traditionnels informant le public de chaque nouvelle au fur et à mesure (les «breaking news»), sondages électroniques rendant disponibles de plus en plus rapidement leurs conclusions – entraîne certaines perturbations au sein de l’électorat. Ce que plusieurs identifient comme la montée du « populisme politique » tient aussi à une accélération de l’accès à l’information. Et le fait que les électeurs s’intéressent peu à la chose politique avant les deux ou trois dernières semaines de la campagne, explique l’impact croissant, pendant cette période, des débats des chefs, des déclarations maladroites, des petits scandales, des bourdes de tel ou tel candidat, etc.
Au Québec, la convergence libérale de centre-gauche (escortée aujourd’hui d’une extrême gauche marxisante encore marginale, mais flattée par les médias) laisse plusieurs électeurs de droite et de centre-droit sur leur appétit depuis des décennies, contribuant à l’augmentation du cynisme et de la volatilité des choix politiques. Le vide politique à droite au Québec depuis la Révolution tranquille, maintenu avec la complicité des médias traditionnels depuis près de 60 ans, n’a pas empêché toutefois une résurgence du conservatisme par la voie non traditionnelle des médias sociaux.
L’ex-premier ministre Stephen J. Harper a publié récemment Right Here Right Now – Politics and Leadership in the Age of Disruption. Dans cet ouvrage, il attribue la montée du populisme en Occident à un mondialisme débridé, causé par la mobilité inhérente à la mondialisation et la transformation d’une grande partie de la société connectée au réseau Internet. Une portion importante de la population ne s’identifie pas à cette mondialisation – qui comporte un agenda libéral progressiste –, c’est pourquoi l’enjeu d’une citoyenneté partagée et de l’identité nationale devient déterminant. Ce sentiment «populiste» est une chance pour les conservateurs, puisque la préservation des institutions et de l’identité nationale est une caractéristique fondamentale de la tradition conservatrice. Ainsi, quoique le discours partisan d’un Donald Trump – le premier président américain qui communique directement avec la population de façon ininterrompue – exacerbe les passions populistes, ses politiques depuis près de deux ans sont à l’évidence conservatrices, démontrant qu’une posture populiste peut répondre aux attentes des conservateurs laissés sans voix par les médias traditionnels.
Le constat de M. Harper est éclairant quant aux raisons de l’éloignement des partis de la réalité vécue par les citoyens:
Cela implique un engagement renouvelé envers ce qu’on appelle souvent la «société civile» – des institutions relationnelles telles que la famille, les groupes de bénévoles, les organisations communautaires et religieuses. Cependant, il est difficile de soutenir que la société civile n’est pas en déclin. Le déclin des institutions est manifeste dans la diminution du bénévolat, la baisse de la fréquentation des églises, la détérioration de la famille et les problèmes de drogue grandissants [ma traduction].
Une perte des repères culturels traditionnels est ainsi douloureusement ressentie par les plus vieux, alors que les plus jeunes, eux, ignorent tout simplement l’existence d’une tradition occidentale, ce qui est encore pire. Pour le «monde ordinaire», un tel vide nourrit le désir de donner sa confiance à des leaders qui répondront à cette soif d’identité et de racines.
Contrairement à Stephen Harper qui dit vouloir «réformer le conservatisme afin de résoudre les problèmes à l’origine du bouleversement populiste», je crois qu’il faut carrément revenir à des politiques conservatrices prônant la réhabilitation des institutions culturelles traditionnelles, repères souhaités instinctivement par la population en général.
Ces politiques, au contraire de ce qu’on croit généralement, peuvent avoir un certain succès électoral. Les deux thèmes de la réduction des seuils d’immigration – établis à 50 000 par an par le gouvernement libéral sortant – et de l’interdiction du port de signes religieux par les fonctionnaires en position d’autorité, auront permis à la CAQ de se rapprocher de l’électorat, les autres partis refusant délibérément de s’y risquer. À cet effet je maintiens que l’abandon par le gouvernement minoritaire du Parti Québécois (PQ) de l’identitaire Charte des valeurs québécoises lui aura fait perdre le pouvoir en 2014, même si la rectitude politique des médias et de nos élites politiques ont fait croire aux péquistes que leur défaite a été un effet collatéral de ladite Charte.
Au Québec, depuis l’abandon par le PQ du positionnement identitaire, une partie importante de l’électorat s’est retrouvée orpheline. La CAQ aura donc su profiter de cette lacune, notamment par sa politique sur l’immigration, par l’interdiction du port des signes religieux pour les employés de l’État en situation d’autorité, ainsi que par la réhabilitation du positionnement conservateur nationaliste autonomiste de l’ancienne Action démocratique du Québec (ADQ).
En conclusion, l’élection récente d’un gouvernement majoritaire de la CAQ démontre que la sensibilité «populiste» peut contribuer à réintroduire dans l’espace public des thèmes conservateurs, et à les rendre suffisamment populaires pour qu’un parti les présente à l’électorat, prenne le pouvoir et parvienne à mettre en œuvre de véritables politiques conservatrices.
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