Le frère André ou l’humilité exaltée
Mise en ligne de La rédaction, le 3 novembre 2011.
par Luc Gagnon
[ EXTRAITS DU NUMÉRO 33 / AUTOMNE 2011 ]
La canonisation du frère André (1845-1937), religieux canadien de la Congrégation de Sainte-Croix, proclamée le 17 octobre 2010 à Rome par le Pape Benoît XVI, a eu peu de retentissement dans l’Église universelle et même en France, où fut pourtant fondée par le bienheureux Père Basile Moreau la congrégation du nouveau saint. Il est vrai qu’il a été canonisé en même temps que cinq autres personnes, ce qui a affaibli la portée de l’événement. Le Québec laïcisé l’a cependant souligné avec force : couverture détaillée dans les médias profanes, célébrations liturgiques à l’Oratoire Saint- Joseph du Mont-Royal et au stade olympique de Montréal, rempli à pleine capacité, etc.
Il est sûr que le frère André – Alfred Bessette de son nom de baptême – est fortement enraciné dans la terre canadienne, qu’il est un pur produit du catholicisme canadien-français, tel que vécu par nos parents et nos grands-parents. Peut-être cette canonisation a-t-elle fait vibrer la mémoire lointaine du christianisme qui subsiste dans le cœur des anciens Canadiens français, déchristianisés dans les années 1960 alors qu’ils devenaient des « Québécois » ? Le frère André est le premier homme né au Québec à être déclaré saint par l’Église catholique romaine. Il était temps ! Le grand historien Lionel Groulx s’est longtemps interrogé sur la valeur de l’Église canadienne, qui n’avait produit aucun philosophe, aucun théologien et aucun saint.
Voilà un saint, et quel saint paradoxal ! Très loin du philosophe ou du théologien ! Il est né en 1845 au sein d’une famille paysanne très pauvre de treize enfants, au Mont-Saint-Grégoire, pas très loin de Montréal, sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent. Il devint orphelin de père à neuf ans et de mère à douze ans. Sa mère avait eu le temps de lui apprendre à prier, surtout le saint rosaire et la confiance en saint Joseph, et de lui montrer ce qu’était l’amour maternel : il resta toute sa vie attaché à la mémoire de sa chère mère et confia même à ses amis intimes qu’il la priait plus souvent qu’il ne priait à ses intentions. Dans ces circonstances difficiles, il ne fréquenta jamais vraiment l’école, de sorte qu’il fut pratiquement illettré : il ne savait pas écrire, pouvait tout juste lire un texte imprimé et ne parvenait que difficilement à signer son nom. Il dut rapidement trouver un emploi rémunérateur et devint un « apprenti perpétuel », comme l’a qualifié son excellent biographe Étienne Catta* : ferblantier, boulanger, cordonnier, palefrenier, etc. Une vie professionnelle ratée. Il prit donc la route de la Nouvelle-Angleterre à dix-huit ans pour travailler dans les usines comme des dizaines de milliers de Canadiens français de l’époque. Il embrassa comme ses compatriotes les misères de l’exil, il vécut l’humiliation du travail déshumanisant et mécanique dans une langue étrangère. Le Pape Benoît XVI souligna d’ailleurs sobrement dans son sermon du 17 octobre 2010 qu’il « connut très tôt la souffrance et la pauvreté ». Le frère André se souvint toujours de ses modestes origines, un peu comme saint Pie X, le fils du facteur de Riese, qui disait à la fin de sa vie avec fierté : «Je suis né pauvre et je meurs pauvre. » Quel contraste avec les parvenus d’aujourd’hui qui nous dirigent et que l’on exalte dans les médias !
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