LE SIÈCLE, LES HOMMES, LES IDÉES – L’abbé Yves Normandin (1925-2020) : le fidèle gardien du trésor sacré

Mise en ligne de La rédaction, le 16 décembre 2021.

[EXTRAITS DU NUMÉRO 63/AUTOMNE 2021-HIVER 2022]

PAR LUC GAGNON

L’abbé Normandin à Appelez-moi Lise (16 septembre 1976)

L’abbé Yves Normandin est décédé le 30 décembre 2020 à Shawinigan après une longue vie de labeur apostolique pleine de vicissitudes, alors qu’il aurait sûrement préféré une vie sacerdotale plus calme dans une cure bien installée et enracinée. Mais Dieu l’a conduit là où il ne serait peut-être pas allé de son gré pour défendre le dépôt sacré de la foi. Il a combattu le bon combat jusqu’au bout.

Yves Normandin naquit en 1925 et grandit dans une famille canadienne-française typique, à Racine, un petit village des Cantons de l’Est. Sur les dix enfants accueillis généreusement par ses parents, deux garçons sont devenus prêtres et une fille est entrée au couvent. L’abbé Normandin a fait les huit ans de son cours classique, avec bonheur et enthousiasme, au vénérable Séminaire de Saint-Hyacinthe, et il parlait encore avec une affectueuse reconnaissance de ses maîtres et de ses années de pensionnat, quelques années avant son décès, lors d’une de mes dernières conversations avec lui à l’Hôtel-Dieu de Lévis.

Après le baccalauréat ès arts, il décida de se donner aux missions africaines au sein de la communauté des Pères Blancs, car il considérait que le diocèse de Saint-Hyacinthe, territoire de chrétienté, comptait alors suffisamment de prêtres diocésains pour desservir les paroisses. Les missionnaires africains le réorientèrent cependant après cinq ans de formation religieuse vers le Grand Séminaire de Montréal, où il termina ses études théologiques. Il apprécia particulièrement l’enseignement des pieux et solides théologiens sulpiciens Roland Dorris et Roland Fournier. Il fut ordonné prêtre pour l’archidiocèse de Montréal en 1953 à Cowansville, où ses parents avaient déménagé durant ses études classiques. Il occupa ensuite quelques postes d’aumônier et de vicaire à Montréal avant d’être nommé en 1970 curé de la paroisse Sainte-Yvette, dans le quartier Saint-Michel. C’est là où il devra faire face à un dilemme moral qui le rendra célèbre en 1975 dans tout le Canada et même dans tout le monde catholique. Après le concile Vatican II (1962-1965), l’abbé Normandin avait accepté sans enthousiasme certaines réformes et pratiques liturgiques et catéchétiques progressistes tout en rejetant celles qui lui semblaient mettre en péril la foi, comme la communion dans la main et l’abandon de la confession auriculaire. Il menait une résistance instinctive et discrète au modernisme dans une paroisse ordinaire tout en acceptant le novus ordo missae de 1969, qui avait été adopté dans presque toutes les paroisses de Montréal et de l’Église universelle. C’est cette messe en langue vernaculaire qui était normalement célébrée à Sainte-Yvette jusqu’en 1973. Un vicaire relativement jeune, né en 1935, l’abbé Réal Bleau, qui avait refusé de célébrer la nouvelle messe pour des motifs théologiques et canoniques dans l’esprit du Bref examen critique du « novus ordo missae », publié sous l’autorité des cardinaux Ottaviani et Bacci, vint se joindre à son équipe sacerdotale. Puisque le curé Normandin avait lui-même refusé de nombreux aspects de la révolution ecclésiale postconciliaire et qu’il cultivait une ardente piété traditionnelle, entre autres la récitation du saint rosaire, il accepta que son vicaire continuât à célébrer une messe dominicale selon le rite tridentin en latin tout en conservant la célébration de la messe en français selon le nouveau rite. Le curé de Sainte-Yvette avait arraché une permission informelle à Mgr Paul Grégoire, archevêque de Montréal, car la seule messe autorisée depuis le 1er dimanche de l’avent 1969 était théoriquement le nouvel ordo du pape Paul VI.

Voyant la grande piété des fidèles de l’abbé Bleau et de la messe traditionnelle latine, et leur fidélité à la confession et à l’ordre moral catholique traditionnel dans une société et une Église qui explosaient, l’abbé Normandin chemina lui-même vers un retour à la célébration exclusive de la messe de son ordination. Particulièrement heurté par la protestantisation de la messe, il fut influencé dans sa réflexion par plusieurs prêtres, dont le virulent Père Noël Barbara, de France, et le Père Jésuite Marie-Joseph d’Anjou, de Québec. (…)