Dossier Joseph de Maistre. Constitutions politiques : sur un ouvrage de Joseph de Maistre
Mise en ligne de La rédaction, le 3 novembre 2011.
par Orestes A. Brownson
[ EXTRAITS DU NUMÉRO 33 / AUTOMNE 2011 ]
Introduction de Jean Renaud
Orestes Brownson (1803-1876), essayiste américain dont l’œuvre abondante, pleine de contradictions, mine d’intuitions et d’arguments, scandaleusement méconnue tant en France qu’au Québec, longtemps négligée aux États-Unis même, est aujourd’hui redécouverte, s’est converti au catholicisme après avoir adopté et traversé toutes les hérésies d’une époque et d’un pays féconds en hérésies (presbytérianisme, unitarianisme, socialisme, athéisme, transcendantalisme). Parce qu’il connaissait le radicalisme de l’intérieur, il a mené un formidable assaut contre la démocratie pure et le socialisme. Sans doute son bizarre génie n’est-il pas sans faille. Son inconstance politique rappelle Louis Veuillot, ses répétitions Charles Péguy, ses arguments un peu carrés Marcel De Corte ou même Bonald. Mais cela a son charme, comme un vin de pays. Ici, c’est un vin de pays yankee (chose assez étonnante) et le vigneron un Yankee catholique (ce qui est encore plus bizarre).
Le centre même de la pensée de Brownson, le nœud de sa réflexion, consiste dans la reconnaissance des liens indissolubles entre la religion et la politique :
« Mais les États-Unis ont une mission religieuse aussi bien qu’un programme politique à remplir, car ces deux idées sont inséparables. L’Église et l’État, en tant que gouvernements, sont séparés sans doute, mais les principes sur lesquels l’État repose ont leur source dans l’ordre spirituel et ne peuvent être isolés de la religion qui les révèle ou les affirme. […] Les principes religieux sont la base des principes politiques» (The American Republic, ch. XV).
Ces lignes n’ont-elles pas une sonorité maistrienne ? « Plus on étudiera l’histoire, écrit Maistre, et plus on se convaincra de la nécessité indispensable de cet alliage de la politique et de la religion » (Étude sur la souveraineté, ch. IX). Mais nulle tentation théocratique chez Brownson. Ce Yankee passionné et patriote soutenait que le catholicisme non seulement s’accorde avec les principes de la République américaine et avec les sciences et les connaissances modernes, mais qu’il leur est indispensable. Seul il résiste à la science, tout en étant capable de dialoguer avec elle; seul il répond aux besoins du coeur et aux interrogations de la raison; seul, il laisse ouvert ce dialogue permanent entre la foi et la raison par lequel l’une et l’autre se purifient et s’affermissent en une savante eurythmie. En plein XIXe siècle, Brownson enseignait que le destin de l’Amérique et celui de l’Occident étaient suspendus au mouvement civilisateur universel : l’Église catholique romaine. « Nulle nation, affirmait-il en 1875, ne peut être réellement libre et indépendante, si elle n’est catholique ». Point besoin pour l’Église d’exclure la libre discussion. La force de persuasion de la vérité suffit. La liberté politique et religieuse pour le catholicisme n’est pas un pari plus ou moins risqué, c’est la condition qui l’avantage le plus. Toutes les autres religions meurent plus ou moins rapidement, toutes sont rongées par le libéralisme ou le fidéisme dans l’atmosphère raréfiée et désenchantée de la modernité, mais l’Église catholique, qui ne peut mourir, résiste, survit, renaît sans cesse, et, à la fin, elle se retrouvera, isolée et invincible, face à l’ennemi : un État qui devra chercher à l’éradiquer ou à se restreindre, continuer à édifier une Babel à la fois rationaliste et hystérique ou consentir à se soumettre à ces lois transcendantes que l’Église aura conservées envers et contre tous.
L’article que nous publions en partie (nous avons dû éliminer, faute d’espace, la longue introduction), premier texte important consacré à Joseph de Maistre par un auteur américain, est bien plus qu’un écrit de circonstance, et Brownson s’en souviendra lors de la rédaction de son œuvre maîtresse, The American Republic (1866).
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