Dossier Joseph de Maistre. Joseph de Maistre, prophète de la réversibilité

Mise en ligne de La rédaction, le 3 novembre 2011.

par Nicolas Mulot

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 33 / AUTOMNE 2011 ]

Joseph de Maistre par Villain

Joseph de Maistre et la Bible
Paul Claudel, méditant sur la Bible, affirmait la nécessité de rendre au chrétien l’Ancien Testament, cette « moitié de son héritage dont on l’a dépouillé ». La lecture de Joseph de Maistre est salutaire car elle nous prémunit contre les séductions de cette vieille hérésie, toujours renaissante, qui consiste à opposer les deux Testaments. Sa pensée sur les sacrifices fait ressortir des constantes qui valent aussi bien pour le judaïsme vétéro-testamentaire que pour le christianisme. Comment comprendre par exemple le Sacerdoce du Christ en faisant fi de l’épître aux Hébreux ? L’épître de saint Paul tend à démontrer que le système sacrificiel défini par le Lévitique trouve son accomplissement dans le Christ Sacrificateur. Il y a donc continuité et non rupture entre les sacrifices anciens et le sacrifice fondateur du christianisme. Cioran, dans un texte fameux, s’était plu à dépeindre Maistre comme un homme de l’Ancien Testament. Par goût de la provocation, il tentait de redonner du piquant à l’erreur gnostique qui met sur le même plan le Dieu de l’Ancienne Alliance et le « Prince de ce monde », qui doit céder le pas au Père de Jésus-Christ. Bien entendu, Cioran n’accordait pas la moindre créance à cette lubie de gnostiques attardés. Il reste que le dualisme, sous toutes ses formes, continue d’exercer ses ravages. Il serait d’ailleurs intéressant de mettre en relation les problèmes rencontrés par les juges dans l’application des peines, ces « défaillances de la chaîne pénale » dénoncées récemment par le président français à la suite d’affaires criminelles impliquant des récidivistes, et la perte du sens théologique de la Justice, récusée au profit de la Miséricorde qui devient le seul attribut reconnu de Dieu. Ce qui caractérise l’époque moderne, comme l’avait bien vu Chesterton, c’est un « sentimentalisme diabolique ». Les théologiens eux-mêmes n’osent plus aborder de front la question de la justice, et particulièrement de la divine, dans laquelle la notion de « rétribution » est centrale. Maurice G. Dantec, dans son roman Métacortex, prête ces réflexions à Verlande, le premier personnage maistrien de la littérature, au cours d’un dialogue avec son acolyte Voronine : « Il [Dieu] est la Loi et elle s’est accomplie. Il ordonne la Justice qui est ce qu’Il est. Et puisque par leurs actes ignobles les hommes perpétuent, à l’échelle purement terrestre, la crucifixion du Christ, tu admettras que les dettes s’accumulent sur cette face sombre de la terre. Et que donc, chaque seconde, un acte de la justice invisible est prononcé au cœur des ténèbres ». Dans le roman, les « flics » sont décrits comme les instruments de cette Justice qui a sa racine en Dieu. Considérées dans leur absolu, la Justice et la Miséricorde sont identiques et consubstantielles. Alliance et le « Prince de ce monde », qui doit céder le pas au Père de Jésus-Christ. Bien entendu, Cioran n’accordait pas la moindre créance à cette lubie de gnostiques attardés. Il reste que le dualisme, sous toutes ses formes, continue d’exercer ses ravages. Il serait d’ailleurs intéressant de mettre en relation les problèmes rencontrés par les juges dans l’application des peines, ces « défaillances de la chaîne pénale » dénoncées récemment par le président français à la suite d’affaires criminelles impliquant des récidivistes, et la perte du sens théologique de la Justice, récusée au profit de la Miséricorde qui devient le seul attribut reconnu de Dieu. Ce qui caractérise l’époque moderne, comme l’avait bien vu Chesterton, c’est un « sentimentalisme diabolique ». Les théologiens eux-mêmes n’osent plus aborder de front la question de la justice, et particulièrement de la divine, dans laquelle la notion de « rétribution » est centrale. Maurice G. Dantec, dans son roman Métacortex, prête ces réflexions à Verlande, le premier personnage maistrien de la littérature, au cours d’un dialogue avec son acolyte Voronine : « Il [Dieu] est la Loi et elle s’est accomplie. Il ordonne la Justice qui est ce qu’Il est. Et puisque par leurs actes ignobles les hommes perpétuent, à l’échelle purement terrestre, la crucifixion du Christ, tu admettras que les dettes s’accumulent sur cette face sombre de la terre. Et que donc, chaque seconde, un acte de la justice invisible est prononcé au coeur des ténèbres* ». Dans le roman, les « flics » sont décrits comme les instruments de cette Justice qui a sa racine en Dieu. Considérées dans leur absolu, la Justice et la Miséricorde sont identiques et consubstantielles. Ils sont, comme le note Dantec, « deux infinis majeurs de la personne divine et c’est la Justice qui dispense la Miséricorde comme le Châtiment ». Mais pour les tenants d’un christianisme exclusivement évangélique, marcionistes à leur insu, toutes ces spéculations restent impénétrables. La Justice constitue pour eux la prérogative du « Dieu pervers » qui serait, à l’en croire un Maurice Bellet, la projection de notre propre inhumanité. La Miséricorde, en revanche, apparaît comme l’attribut par excellence du Dieu-Amour qui couvre de son étreinte toute la famille humaine. Ce type de dichotomie représentait pour Claudel le comble de l’absurdité : « Un Dieu féroce, s’exclamait-il, un Dieu jaloux, oui, tant que vous voudrez ! C’est comme ça que nous l’aimons ».
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